mercredi 30 septembre 2020

L'ART DE PIPER LES DÉS


« Je jure par Apollon, par Asclépios, par Hygie et Panacée,
par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin 
que je remplirai, suivant mes forces et ma capacité,
le serment et l'engagement suivants… » 

C’est par cette auguste formule que, dès le 4e siècle avant Jésus-Christ, les médecins d’Occident entamaient le serment d’Hippocrate.

Aujourd’hui, les ordres professionnels sont toujours soumis à un code de déontologie qui engage leurs membres. Dans l’univers des psys, par exemple, l’article 26 est catégorique : «Pendant la durée de la relation professionnelle, le psychologue n’établit pas de liens d’amitié susceptibles de compromettre la qualité de ses services professionnels. »

Mais qu’en est-il des sociologues qui ne sont pas régis par un ordre? À l’heure où la pression des commanditaires pèse de plus en plus souvent sur les enjeux éthiques, certains chercheurs attitrés à l’étude des sociétés hassidiques d’Outremont et du Mile End auraient peut-être intérêt à s’offrir la lecture du bouquin Éthique de la recherche en sociologie. Pour 29,50 € (23,99 € en version numérique), l’ouvrage fraîchement publié pourrait leur éviter bien des désagréments, voire une sacrée perte de crédibilité.

Le 2 mars 2020, lorsque Philipe Tomlinson et Projet Montréal ont annoncé l’adoption d’un budget pour, entre autres, financer une étude qui permettra à la doctorante Valentina Gaddi de cartographier les espaces publics, les parcs et les trottoirs partagés par les communautés juives et non-juives, le maire s’est dit très «excité». Et on imagine que Mme Gaddi n’en fut pas moins émoustillée. Grâce à elle, la population outremontaise pourra enfin savoir si l’harmonie règne sur nos trottoirs et nos bancs publics.

Pour cette jeune Italienne originaire d’une bourgade du lac de Côme et débarquée au Québec en 2012, il s’agit d’un mandat vraiment taillé sur mesure. En 2017, dans le cadre de son projet de recherche, Valentina avait déjà épluché pendant deux ans la question du dialogue et des relations intercommunautaires au sein du plus petit arrondissement de la métropole. 

Forte de ces années à scruter le niveau d’harmonie qui règne autour de nos chaumières, on imagine qu’elle n’aura pas à se décarcasser trop trop pour livrer à peu de frais sa marchandise estudiantine qui, comme on dit au pays de Dante, mettra du «burro sugli spinaci *».

Quel bonheur ce fut de lire Tomlinson raconter qu’il en avait assez des discussions sur les relations avec les juifs hassidiques basés sur des rumeurs ou des ouï-dire et, on pourrait ajouter, sur les «fake news» ! Qu’on se le dise, M’sieur l’Maire veut désormais asseoir ses politiques d’accommodements sur du solide. Même la conseillère Mindy Pollak s’est montrée des plus heureuses en sachant que Projet Montréal pourra enfin compter sur des données provenant d’une étude menée par une chercheuse «neutre» et «indépendante» comme Valentina Gaddi.

Selon la conseillère hassidique, grâce à ce corpus intègre et colligé sans parti pris, les deux communautés d’Outremont vont pouvoir faire de grands pas l’une vers l’autre. L’ancienne esthéticienne, débarquée inopinément en politique il y a six ans, soutient n’avoir jamais vu une telle initiative en... dix ans d’implication!

Or, n’en déplaise à Projet Montréal, en confiant cette étude à Mme Valentina Gaddi, Philipe Tomlinson torpille lui-même ce dialogue avant même qu’il ne puisse débuter.

Au cas où les citoyens ne le sauraient pas, Mme Gaddi ne s’est pas simplement intéressée de près aux relations intercommunautaires de notre arrondissement. Elle s’y est investie au point de littéralement fusionner avec les groupes hassidiques et leurs supporteurs invétérés, voire fanatiques. De toute évidence, elle n’a pas su garder la distance professionnelle nécessaire pour jouer son rôle adéquatement.


Les signes de son implication abusive sont nombreux, mais s’il fallait commencer par ce qui est absolument inconcevable de la part d’un chercheur digne de ce nom, soulignons que Valentina Gaddi a choisi, volontairement et en toute connaissance de cause, de devenir administratrice de l’association activiste Friends of Hutchison Street (FOHS) fondée par nulle autre que Mindy Pollak.

Pendant au moins deux ans et jusqu’en janvier dernier, son nom figure à ce titre au registre des entreprises du Québec. Il n’est pas anodin de noter que Gaddi a renoncé à sa fonction au sein du groupuscule des FOHS à peu près au moment où Tomlinson l’a choisie pour remplir son mandat salvateur pour l’harmonie du quartier. Quelqu’un au sein de Projet Montréal se serait donc finalement réveillé et aurait pris conscience que sa prise de position était inappropriée, injustifiable et pernicieuse?

Quoi qu’il en soit, si Valentina Gaddi a réalisé sa bourde, il était trop tard. C’est peut-être pour cela que le 2 mars dernier, devant un aréopage d'universitaires, Valentina s’est elle-même présentée comme une « apprentie sociologue» au moment de livrer son allocution sur la démocratie participative et les enjeux du pluralisme dans le quartier d’Outremont.

Le parti pris de Mme Gaddi date de bien plus longtemps. Par exemple, dans le cadre du IXe colloque de l'ACSSUM (13 et 14 mars 2014), elle avoue avoir choisi de participer et de collaborer avec les Friends of Hutchison Street et un autre groupe d’activistes (qu’elle surnomme Y) «non seulement pour mon intérêt de recherche», mais bien parce que «je partage les buts de ces associations et que je suis personnellement engagée, comme les autres membres… pour atteindre ces buts ». Le tout, ajoute-t-elle, au risque «d’orienter mon propre terrain de recherche et de développer une relation d’extrême proximité». On saurait difficilement trouver experte plus officiellement tendancieuse.

Pour ne rien arranger, Valentina Gaddi nous révèle candidement l’imbroglio dans lequel elle-même et son groupuscule anonyme Y se sont fourrés depuis sa fondation. Tout ce beau monde se… comment dire… se « scratch the scalp » pour trouver une façon de se faire passer pour un groupe de Québécois francophones alors que parmi eux, il n’y a pas l’ombre d’un frenchy, une bibitte si rare dans cet arrondissement majoritairement francophone. On croit rêver.

Extrait de la présentation de Gaddi (p. 98 et 99) dans le cadre du IXe colloque de ACSSUM.

En dépit de cette hallucinante révélation, Mme Gaddi se contredit allègrement. Lors de ce même colloque, elle raconte que «la caractéristique centrale de ces deux rassemblements [comprendre les FOHS et l’obscur groupe Y] est qu’ils regroupent des membres des deux communautés, tant dans leurs exécutifs que dans les activités qu’elles organisent périodiquement.» Pour cette doctorante, donc, les deux communautés ne sont pas du tout celles que nous serions portés à croire.

Dans son étude sur les relations de voisinage, Gaddi s’attarde aux hassidim et aux «non-hassidim», ces derniers étant des anglophones juifs ou des non-juifs originaires d'ailleurs au pays ou encore des Québécois majoritairement anglophones. Elle ne s’en cache pas. À la page 94, Valentina le dit clairement : «C’est au sein de ces deux associations [FOHS et le groupe Y] que je conduis mon enquête ethnographique».

On lui sait gré de sa franchise, mais on se demande tout de même où elle a remisé tous ces Québécois francophones qui ont la détestable manie de ne pas toujours être des béni-oui-oui du diktat communautariste bon chic bon genre. Levez la main, les Québécois francophones qui ont été invités à participer à sa recherche. Bon...Ok! On ressayera demain.

Cette absence de voix discordantes est d’autant plus surprenante que dans un petit journal local de Lombardie, Mme Gaddi a déjà confessé le gros défaut de ne pas savoir se taire, de vouloir aller au fond des choses et de provoquer la discussion, surtout avec ceux qui ne pensent pas comme elle. «Ho il brutto difetto di non saper stare zitta, di voler andare a fondo nelle cose e provocare la discussione, soprattutto con chi non la pensa come me.»

Remarquez que son penchant style «tour de Pise» s’est manifesté très tôt. Fraîchement débarquée dans un Québec qui, de son propre aveu, lui était totalement inconnu, Valentina Gaddi n’a vraiment pas perdu de temps pour faire son lit. Dès 2013, elle collabore avec les activistes du FOHS. Au point, d’ailleurs, de soutenir ouvertement Mindy Pollak, la candidate de Projet Montréal, lors de la campagne électorale de 2013.

À gauche: Valentina Gaddi pavoise (médaillon) aux côtés de Pollak, le soir de sa victoire électorale. À droite: lors de la séance du conseil de février 2014, elle réclame aux élus la réactivation du comité consultatif sur les relations intercommunautaires.

Oh! Avant d’oublier… la Gaddi (comme on dit en italien) a aussi eu droit à son chapitre dans Les Juifs hassidiques de Montréal, un essai codirigé par l'inénarrable Pierre Anctil et lancé il y a presque un an juste à côté de la synagogue Machzikei Torah of Montreal du 1075 avenue Bernard.

Le bouquin contient un tel répertoire de présomptions et d'a priori, que j'entends bien y consacrer une chronique future. Mais pour l'instant, sans jouer les divulgâcheurs, laissez-moi ne révéler qu'un exemple parmi d'autres de l'impartialité clinique dont fait preuve la chercheuse lorsqu'elle veut déboulonner les préjugés que nous entretenons à l'égard du monde hassidique.

Valentina s'est penché plus particulièrement sur trois controverses se rapportant à l'adoption ou à l'application de règlements municipaux qui ont fait la manchette à Outremont.

Pour analyser en profondeur et sous toutes ses coutures les trois évènements en question, la doctorante a choisi de ne retenir que les témoignages des gens qui «soutenaient la communauté hassidique». Mais peut-être par pure bonté d'âme, dans la section finale de sa recherche, elle fera tout de même une grosse entorse à ses sacro-saints principes en accordant audience à deux personnes qui ont un avis divergeant.

Par exemple, lorsqu'elle aborde la controverse du règlement relatif au nombre de jours pendant lesquelles les cabanes de la fête de Souccot pourront demeurer sur les balcons, Gaddi décrit l'intervention de Christian Aubry (qu'elle ne nomme pas). Membre des FOHS et favorable aux revendications des hassidim, M. Aubry assistait à la soirée de consultation publique qui s'est tenue le 29 octobre 2014.

À la page 129, Mme Gaddi prend grand soin de nous relater dans le menu détail les émotions qu'Aubry devait ressentir alors qu'il était au micro. Mais lorsque ce dernier s'est fait expulser de la salle pour avoir traité d'antisémites des citoyens qui assistaient à la séance de consultation, la prose de chercheuse deviendra carrément lyrique. Elle ira jusqu'à qualifier de «mort sociale» l'éviction de ce compagnon de lutte.

La prose dramatique de Valentina Gaddi à l'égard du militant prohassidique.

En revanche, lorsqu'elle évoque l'agression qu'a subie en 2012, la conseillère Céline Forget aux mains d'une quarantaine d'hommes hassidiques,Gaddi reste froide comme un bloc de marbre de Carrare. Oubliez la «mort sociale» pour «la bonne femme» Forget . Après tout, elle l'a bien cherché, non? Qu'est-ce qu'elle avait à se pointer là? Et de son propre chef, en plus!


Valentina a tout à fait le droit de haïr à s'en confesser qui elle veut, mais Gaddi, elle, a une responsabilité professionnelle.

Bien sûr, pour faire une bonne job, la chercheuse n'a pas le choix de sauter dans l'arène et de se frotter aux gens et à la culture qu'elle veut étudier. Là-dessus, on n'a absolument rien à redire. Valentina a tout à loisir de fraterniser, d'apprécier et d'y prendre son pied. Après tout, il est très facile de comprendre le fourmillement d'excitation qui habite une sociologue en devenir à qui l'on permet de s'immerger dans une culture bluffante, aussi théocratique soit-elle.

Moi-même, à son âge, je ne trouvais rien de plus grisant, carnet de notes sous le bras, que de courir le monde en quête de diversité, de rencontres insolites, de peuplades exotiques à découvrir, à observer et à étudier. Et c'est encore vrai! La preuve...!

À gauche, Lacerte dans une tribu Yaguas d'Amazonie; au centre, dans une tribu de Papous des Highlands; à droite, au milieu d'une branche d'Ashkénazes qu'Arthur Koestler appelle la 13e tribu.

En raison de ses agissements antérieurs, Valentina Gaddi a allègrement passé la mesure et s'est placée dans une position intenable pour réaliser un mandat aussi petit soit-il et dont la finalité est de favoriser le dialogue entre les citoyens d'Outremont.

Mais, en premier lieu et en fin de compte, le principal coupable n'est pas Mme Gaddi. La bavure et l'insulte à l'intelligence des citoyens sont le fait de Philipe Tomlinson. C'est lui et son administration qui tentent de piper les dés.

Il semble assez clair que Projet Montréal cherche les façons d'aligner les astres pour répondre à son programme électoral. Une belle commande, quoi!




* du beurre sur les épinards



1 commentaire:

Martin Gamache a dit…

En tant qu'anthropologue, je trouve cette partialité (celle de Mme Gaddi) assez honteuse.