vendredi 11 décembre 2015

LE RETOUR DE BOOMERANG



Ne voulant jamais rater une occasion de faire mouche et sachant que la ruse s’accommode bien d’un brin de matière grise, les leaders hassidiques d’Outremont et du Plateau ont eu une idée de génie lors de la dernière séance du conseil d’arrondissement. Pour intercéder en leur faveur dans le dossier le l’établissement de nouveaux lieux de culte sur les artères commerciales des avenues Bernard et Laurier, Mayer Feig et cie ont fait descendre dans l’arène municipale un éminent docteur en études juives canadiennes qu’ils sont allés repêcher à l’université Concordia.
Voici l'immeuble qui accueillera deux nouveaux locaux religieux au cœur même de l'activité commerciale très prisée de l'avenue Bernard

Une belle prise, à n’en pas douter. Le docteur Steven Lapidus est un érudit du fait hassidique en Amérique du Nord. En plus de préparer un projet de livre sur le hassidisme au Québec, Lapidus a publié différentes choses dans son domaine de recherche, dont (ça ne pouvait mieux tomber!) «Love Thy Neighbour: Hasidic Social Relations in Quebec». Pour ne rien gâter, contrairement à la plupart de ses coreligionnaires outremontais qui se sont établis chez nous il y a 15, 30, voire plus de 50 ans quand ils n’y ont pas carrément vu le jour, Steven peut même s’exprimer dans la langue des autochtones.

Appelé au micro, lors de la période de questions, le docte judéophile a tenu à lire l’extrait d’une citation de M. Raymond Cloutier, le président de l’Association de l’avenue Bernard. Ce dernier qui est aussi directeur général et artistique du théâtre Outremont s’était exprimé dans Le Devoir de la veille sur ce projet de règlement. «On sent qu’il y a des craintes, mais moi, ma position, c’est que ces gens-là sont des citoyens comme les autres. Ils ont leurs désirs et besoins. Il faut composer avec. Ce n’est pas en étant dogmatique qu’on va régler tout ça.»
L'intervention de Steven Lapidus lors de la période de questions.

Brandissant cette citation, Steven Lapidus en a tiré une conclusion lapidaire. «Si vous n’avez pas l’appui du président de l’association de l’avenue Bernard, pourquoi insistez-vous [pour dire] que la présence des lieux de culte sur Bernard sont “méfaisantes” pour le commerce?» Visionner sa courte intervention en cliquant ICI.
 
Or, de toute évidence, Lapidus s'est mis le pied dans la bouche jusqu'au mollet et Raymond Cloutier n’a pas aimé qu’on interprète ses propos de façon partisane. Ulcéré, le président de l’association de l’avenue Bernard a publié dans le Journal d’Outremont une mise au point dont voici l’intégrale :
 

J'apprends avec stupéfaction qu'un intervenant, à la réunion du conseil d’arrondissement du 7 décembre 2015, aurait déclaré, en mon absence, que je suis en faveur de l'établissement de lieux de culte sur l'Avenue Bernard. Et qu'en conséquence, cela représente l'opinion des marchands et professionnels dont je suis porte-parole.

C'est non seulement inexact, mais c'est l'utilisation à des fins partisanes d'une opinion nuancée, exprimée dans le Devoir du samedi 5 décembre. Si ce débat continue d'être entretenu par les opposants, avec mauvaise foi, l'association sera dans l'obligation de prendre une position claire sur ce règlement.

 
J'exprimais notre malaise à se ranger dans un camp ou dans l'autre pour préserver la neutralité obligée des commerces. Il aurait été contre-productif de s'aliéner quelque clientèle que ce soit.

 
Mais maintenant qu'on veut m'attribuer, sans mon aval, une opposition au règlement, je suis dans l'obligation d'exprimer notre gêne à tous sur la multiplication des lieux de culte sur notre avenue. La venue d'une Mikve (bain rituel et synagogue) en plein quartier des terrasses qui font le charme et la popularité de ce coin de l'intersection Bernard et Champagneur est carrément inappropriée.

 
La prétention de certains promoteurs que les lieux de cultes revitalisent les artères commerciales ne devrait jamais être acceptée dans ce débat.

 
Nous avons clairement indiqué à M.Rosenberg, propriétaire des lieux, qui a convoqué l'association à une rencontre pour défendre son projet, que l'absence de préoccupations esthétiques de la communauté hassidique inquiétait les commerçants qui font tant d'efforts pour rendre cette artère attrayante.

 
J'ai tenté dans cette interview du Devoir, au nom du « vivre ensemble », de calmer le jeu. Mais je vois bien qu'on veut m'instrumentaliser et je ne le tolérerai pas.

 
Merci.

 
Raymond Cloutier,
Président des marchands et professionnels de l'avenue Bernard
Raymond Cloutier, président de l’association de l’avenue Bernard et directeur général et artistique du théâtre Outremont.

Jeudi, le 10 décembre, M. Cloutier a été invité à préciser sa pensée dans le cadre de l’émission Le 15 – 18. Cliquer ICI pour entendre sa courte intervention ou ICI pour écouter le segment de l'émission consacré à cette question. 

Rappelons qu'au cours des deux dernières années, M. Cloutier et d'autres organismes ont mis sur pied des initiatives pour tenter de faire une brèche dans le monde hermétique des hassidim. Des efforts soutenus qui, selon toute vraisemblance n'ont toujours pas donné les résultats escomptés.

Mais plutôt que d’interpréter à mon tour les paroles de Raymond Cloutier, je laisse à chacun le soin d’en tirer ses propres conclusions.

dimanche 6 décembre 2015

DOMINANTS DOMINÉS, DOMINI DOMINO


Lors de la soirée de consultation publique tenue le 1er décembre dernier sur le projet de règlement visant à limiter la multiplication de lieux de culte sur les artères commerciales de l'arrondissement Outremont, on aura tout entendu.

Si bon nombre des arguments qu’ont déversés les membres de la communauté ultraorthodoxe n’étaient pas si dramatiques, on pourrait les qualifier de burlesques. 

Outre les sempiternelles accusations d’antisémitisme, de xénophobie, de haine atavique et les menaces de poursuites devenues routinières chaque fois que les leaders des sectes hassidiques se sentent le moindrement contrariés, certains intervenants ont réussi le tour de force d’aller encore plus loin.

Pour dénoncer l’emplacement projeté de la douzième zone (vous avez bien lu. Il y aura 12 zones!) où les lieux de culte peuvent s’implanter sur le territoire outremontais, Sharon Freedman, une résidente hystérique de Côte-Saint-Luc n’a pas hésité à prétendre que le choix de cette nouvelle zone près de l’ancienne gare de triage ne pouvait qu’évoquer le souvenir de la déportation des juifs et de l’holocauste.

Je ne sais pas s’il y avait, dans la salle, plusieurs personnes suffisamment âgées pour avoir connu la déportation. Pour ma part, ce soir-là, je n’en connaissais qu’un seul. Farouchement opposé au changement de zonage proposé, ce hassidim a prétendu que ce nouveau site pour accueillir des lieux de culte ressemblait aux endroits malfamés où l’on trouve généralement des maisons closes (houses of ill repute). Il n’a que 35 ans et pourtant, il garde un très très mauvais souvenir de sa déportation.

En 2001, activement recherché par FBI pour sa participation à une vaste fraude de 5,5 millions de dollars US,  il est allé trouver refuge au sein d’une communauté hassidique d’Outremont. Malheureusement pour le racketteur ultrareligieux, il a été extradé manu militari aux pays de l’Oncle Sam où il a été jugé, puis condamné à 30 mois de prison, le 16 mars 2005. Revenu à Outremont après avoir purgé sa peine, il est devenu, pour un temps, du moins, administrateur d'une synagogue très connue de l'arrondissement.

Mais laissons de côté ces tristes vicissitudes de l’existence et entrons dans le vif du sujet.

J’ai été surpris de lire le communiqué de presse de Projet Montréal sur la question. Luc Ferrandez, le chef de Projet Montréal et de l’opposition officielle, y est allé d’une grosse vérité de La Palice. Il affirme que «les communautés religieuses ont le droit de s’installer dans tous les arrondissements et ce droit ne devrait en aucun cas être brimé.» Allo, Luc. Ça va? Je te recommande la lecture de la cause Roncarelli c. Duplessis. Depuis 1959, même les Témoins de Jéhovah sont protégés contre les élus municipaux mal intentionnés. Je le mets au défi de nous donner le nom d’un seul arrondissement de Montréal où une communauté religieuse est interdite de séjour ou brimée.



Uniquement sur le tronçon de 500 mètres de l’avenue Bernard où se trouve la quasi-totalité des commerces (entre l’avenue Outremont et la rue Hutchison), on dénombre une église baptiste et quatre synagogues et centres communautaires hassidiques. Il y a quelques années à peine, sur moins d’un kilomètre carré chevauchant Outremont et le Mile-End, 19 lieux d’activités religieuses hassidiques avaient été recensés. Dans le lot, certains étaient carrément illégaux et plusieurs autres contrevenaient d’une façon ou d’une autre à la réglementation municipale.

Comme si ça ne suffisait pas, le communiqué de Projet Montréal se vautre dans la rhétorique de pacotille. On y lit que le règlement qu’étudient les élues d’Outremont confinerait les nouveaux lieux de culte à «un petit secteur isolé de l’arrondissement».

L’endroit proposé pour permettre l’établissement de futurs lieux de culte est-il aussi impropre au recueillement que le disent Projet Montréal, les ténors hassidiques isolationnistes et leurs alliés circonstanciels qui prêchent l’inclusion tous azimuts?


D’abord, mettons les choses au clair. Personne ne peut prétendre aujourd’hui que l’on cherche à parquer les futurs lieux de culte en bordure d’une gare de triage. Arrivez en ville, les boys! Au moment où on se parle, toute cette zone qui servait de gare est en train (sans jeu de mots) de se transformer en un endroit rassembleur qui, au dire même de l’Université de Montréal, «dynamisera les communautés et les quartiers voisins».

Non seulement l’endroit a été décontaminé, mais d’ici quelques années, des milliers d’étudiants et d’enseignants y seront installés à un jet de pierre de l’avenue Van Horne. On y créera 40 000 mètres carrés de nouveaux parcs, dont un qui se rendra jusque derrière la rue Durocher. Un nouveau quartier résidentiel y sera également aménagé. 

Voici la faune qui remplacera les traverses de chemin de fer à Outremont

En plus de devenir un pôle de développement économique, urbain, culturel et social, le nouveau campus des sciences sera même durable! Qui dit mieux?

Remarquez que ce n'est peut-être pas idéal pour un groupe sectaire qui ne souhaite pas que ses enfants côtoient une jeunesse qui s'abreuve de mathématiques, chimie, physique, sciences biologiques et géographie. D'un coup que l'éducation était contagieuse. Ce serait bien la fin du monde, n'est-ce pas?
 
L'emplacement de la zone de culte proposée (en vert lime,à droite) par rapport au nouveau campus d'Outremont et à l'école hassidique (en rouge) située sur Durocher, dans la zone industrielle.


Il s’en trouvera toujours pour se plaindre qu’il y a encore des bâtiments industriels en activité. Soit, mais pour combien de temps encore? Et puis d’ailleurs, c’est quoi ce nouveau caprice? Les ténors hassidiques ne peuvent tout de même pas accuser les autorités municipales d’avoir forcé leurs ouailles à squatter des zones insalubres. Les ultrareligieux ont même ouvert une école talmudique pour garçons de l'autre côté de la voie ferrée, en pleine zone industrielle. 


L'école talmudique pour garçons (à droite!), installée depuis de nombreuses années au coin de Durocher et Beaubien. Elle longe à la fois la voie ferrée et se trouve au en plein environnement purement industriel. 

Au cours des dernières décennies, elles s’y sont elles-mêmes installées, très souvent en catimini et en toute illégalité. Ce n’est pas moi qui le dis. On retrouve cela en toutes lettres dans un avis émis en juin 2009 par le Conseil interculturel de Montréal. «La pression foncière fait en sorte que la majorité des groupes religieux optent pour des locaux commerciaux souvent délabrés, et se contentent de placarder les vitrines avec des cartons.», affirmait alors Frédéric Dejean, chercheur à l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal. Remarquez que nous n’avions pas besoin d’une savante étude pour en faire le triste constat. Il suffit de se rendre au coin de Van Horne et avenue du Parc pour voir ce qu’est un taudis religieux. 

Depuis près de dix ans, voici à quoi ressemble la synagogue au coin de Parc et Van Horne
 
Et pour ajouter l’insulte à l’injure, le Conseil interculturel nous a confirmé que les arrondissements ferment les yeux pour «conforter l'harmonie intercommunautaire et pour éviter que des situations de tensions se multiplient inutilement». On voit où cela les a menés. Après ça, les élus se demandent pourquoi il y a de la crispation dans l'air. Ils sont les premiers responsables de la grogne ambiante.

Bien sûr, Projet Montréal dira qu'il n'est au pouvoir que depuis quelques années. Il n'a pas tort sur ce point, mais comme tous les partis politiques qui sont venus avant lui et qui viendront après lui, il fera la courbette dans l'espoir de se faire réélire dans Outremont. C'est clair comme de l'eau de roche. À preuve, lorsque l'arrondissement du Sud-Ouest a proposé la même mesure qu'Outremont, l'été dernier, avez-vous vu Ferrandez et Projet Montréal monter aux barricades? Ben non, c't'affaire. Projet Montréal n'a rien à gagner là-bas avec cet enjeu.

Mindy Pollak, l'élue hassidique de Projet Montréal dans Outremont, met toute la pression pour satisfaire les autorités rabbiniques... qui ne se satisfont que de la capitulation du monde laïc.

Luc Ferrandez trouve préférable de jouer kosher à Outremont. Et au cas où la mémoire lui flancherait, le docteur Steven Lapidus, de l'Institut de l'Université Concordia pour les études juives canadiennes se fera un plaisir de le lui rappeler. 

Steven Lapidus nous prodigue ses conseils

L'érudit du judaïsme orthodoxe qui s'est prononcé publiquement contre le projet de règlement de zonage d'Outremont, le 1er décembre dernier, l'a bien expliqué dans le magazine The Senior Times:  

«They generally vote as a bloc.
You give concessions
to the [Hasidic] community
and you get votes.
They are in a position of power.» 

Dans ce même article, Steven Lapidus a même la gentillesse de nous donner un conseil qui vaut de l'or:

«If [Hasidim] are not going to move,
they are going to dominate. … 
If you want to come 
to a peaceful resolution 
to the problems in Outremont, 
don’t wait until Hasidim are the majority.» 

Un laïc averti en vaut deux, n'est-ce pas?