Pendant près de 250 ans, les leaders des
sectes hassidiques sont parvenus à confiner leurs ouailles à l’intérieur de
l’érouv. Au XVIII, XIX et XXe siècle, c’était relativement simple. L’œil de
Dieu était seul à pouvoir jouer les Big Brother, pénétrer l’intimité de chacun
et réfréner les pensées «déviantes».
Or, depuis une vingtaine
d’années, Yahvé a perdu son monopole. Internet lui fait une concurrence que les
rabbins hassidiques redoutent comme la peste. S’il était facile de mettre les
livres à l’index, de bannir les journaux, la radio et la télé, il est nettement
moins aisé de combattre WiFi, ce démon invisible qui vous colle au bout des
doigts. Même intelligents, les téléphones cachères ne peuvent offrir la garantie des ceintures de chasteté contre les petits
futés.
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Yohanan Lowen à TLMEP |
Dimanche dernier, à Tout le monde en parle (désolé pour les pubs du début),
nous avons pu voir et entendre le premier hassidim au monde à intenter une
poursuite contre un gouvernement qui n’a pas levé le petit doigt pour forcer
les sectes ultraorthodoxes à respecter le programme obligatoire du ministère de
l’Éducation. Au fil des ans, des milliers et des milliers d’enfants ont ainsi
été abandonnés. En faisant défection avec femme et enfants, Yohanan Lowen savait
que la lutte serait longue et pénible, mais jamais plus une secte ne mettrait
le grappin sur lui et les siens. Finis pour lui les bénis oui-oui.
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Mendy Marcus |
Yohanan n’est pas le premier à déserter le
camp de prières de Boisbriand. Il y a quelques mois à peine, un autre rescapé
faisait une sortie remarquée dans le cadre de la célèbre émission Fifth Estate. Comme Yohanan, Mendy Marcus dénonçait ces ravisseurs d’enfants qui les
soumettent à un impitoyable lavage de cerveau.
En 2008, l’auteur et réalisateur
Eric Scott présentait son film Quitter le bercail où il nous racontait l’histoire de cinq jeunes qui sont nés et qui ont grandi
dans un milieu juif ultra-orthodoxe et qui souhaitaient s’en échapper.
Souhaitons que la poursuite intentée par
Yohanan Lowen fera boule de neige, si elle ne crée pas carrément une avalanche.
Et pas seulement au Québec.
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Naftuli Moster |
Naftuli Moster, cet ancien étudiant d’une école talmudique de la secte Belz
dénonce le fait que depuis des décennies, le département d'éducation de l’état finance
à coup de millions ces écoles religieuses qui dispensent un enseignement qui contrevient
carrément aux normes de l’état.
Dès l’âge de 13 ans, Naftuli affirme avoir été
confiné 14 heures par jour dans une yeshiva sans pouvoir apprendre un traître
mot d’anglais, ni de mathématiques, d’histoire, de science, de géographie, de
musique.
Frustré par l’éducation lamentable qu’il a reçue, Naftuli
avait déjà fondé, en 2012, le Young Adults For a Fair Education
(YAFFED), une
organisation destinée à promouvoir une éducation séculière au sein des écoles
ultraorthodoxes. Faut-il se surprendre qu’il soit aujourd’hui qualifié de
renégat par ses anciens éducateurs?
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Gedalya Gottdenger |
Il
est loin d'être le seul. À 21 ans, Gedalya Gottdenger se considère lui aussi un
éclopé du système religieux. Les cours d’anglais qu’on lui donnait? «C’était
une vraie blague; le but était de nous garder en classe pendant deux heures
simplement pour faire croire au gouvernement que l’on nous apprenait l’anglais,
mais ça n’avait rien à voir avec de l’enseignement.»
Aux États-Unis, l’organisme Footsteps créé en 2003 vient en aide aux centaines de hassidim qui font défection chaque
année. Juste l’an dernier, grâce, entre autres, à Internet, Footsteps a vu son
nombre d’adhérents faire un bond de 60 %. En Israël, Hillel offre un
soutien similaire, tandis qu’en Angleterre, les ultraorthodoxes qui veulent
sortir des sentiers battus recourent à Mavar.
Les colonnes du temple commencent à se
fissurer, mais les leaders intégristes ont encore de beaux jours devant eux.
À
Londres, dans le seul quartier de Hackney, entre 800 et 1000 garçons hassidiques
de 13 à 16 ans sont disparus de la liste du système scolaire pour se retrouver
dans des écoles religieuses illégales (voir le reportage diffusé le 14 juillet 2014)
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Une des nombreuses écoles illégales hassidiques de Londres - autre continent, mêmes problèmes! |
On ne soupçonne pas les méthodes qu’ils
utilisent pour empêcher leurs disciples de prendre la clé des champs.
Le 8 août 2014, c'était la chaîne London Live TV qui diffusait une entrevue réalisée avec Moishy (nom fictif), un rescapé d'une autre secte hassidique du quartier de Stamford Hill. Il faut entendre ce garçon déballer tout ce que ses parents et ses enseignants lui racontaient à propos du monde extérieur pour le dissuader de quitter la secte:
« I was told that
everything outside is bad. Not only non-Jews, but anybody that don’t follow
haredi lifestyle. We were told that non-Jews were like cattle. They are born, they
mate and were created to help us, to enable us to learn Talmud and follow the
path given by God.»
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À Londres, Moishy (nom fictif) s'est tour à tour fait offrir de l'argent puis menacer afin qu'il ne quitte pas la secte. |
Pour quitter
ces communautés, il faut un courage fou et une détermination à toute épreuve. Le
lavage de cerveau, le manque cruel d’éducation, l’absence de repères adéquats,
la façon dont on dépeint le monde extérieur et le chantage émotif ne sont pas
les seuls obstacles à surmonter. Pour sauver sa petite famille, Yohanan Lowen a
même été forcé de mettre une croix sur ses proches restés sur place.
D'autres comme Lynn Davidman, élevée dans un milieu ultrareligieux de Brooklyn, a aussi vécu l'angoisse. En mordant dans son premier cheeseburger, elle a craint pour sa vie. Elle pressentait qu'un châtiment
divin viendrait la punir d'avoir touché à un plat non cacher. On part de loin, n'est-ce pas?
Dans ce monde schizophrénique, une
maladie, une agression sexuelle subie par un membre de la famille, un suicide
ou une désertion sont des taches qui souillent l’ensemble de l’entourage. Bonne
chance à celui qui voudrait trouver un bon parti à la sœur ou la fille de
celui par qui le scandale arrive. Le geste de l’un marque la famille entière du
sceau de la honte. On comprend alors combien il est pénible et traumatisant de
sauter la clôture. Le sentiment de culpabilité est immense.
Il faut vraiment visionner les témoignages de
certains membres de l’organisme Footsteps pour comprendre la traversée du
désert qu’entreprennent ceux et celles qui, comme Chani Getter, quittent leurs sectes.
Certains racontent les agressions physiques, sexuelles et psychologiques subies par plusieurs de leurs ami-e-s, mais jamais dénoncées. Il y a aussi cette détresse qui a poussé une jeune fille promise à un mariage arrangé à acheter du poison à rat qu'elle a caché sous son lit avant de se décider à prendre plutôt... la poudre d'escampette.
Les cas de suicide chez les anciens hassidim ne sont pas rares. Une étude réalisée en Israël révèle que les anciens ultraorthodoxes sont trois fois plus nombreux à manifester des tendances
suicidaires comparés aux autres segments de la société. Avouons que ce n'est pas rien.
Souhaitons que le ministre Bolduc remettra ses culottes et reniera son entente ridicule avec l'Académie Yeshiva Toras Moshe du Mile-End. Ça demande 100 fois moins de courage que de quitter l'une de ces sectes.