«Quand des intolérants invoquent la tolérance,
ils manipulent et avilissent cette belle valeur.
Ils réduisent aussi progressivement
la tolérance de la majorité.»
Joseph Facal
Si l’on se fie au texte qu’a commis M. Abraham Ekstein dans Le Devoir du 1er septembre pour défendre le bien-fondé des écoles hassidiques, on est forcé de conclure que les écoles qu’il a fréquentées ont lamentablement échoué. Lui qui soutient que leur programme scolaire permet aux enfants de développer leur raisonnement et leur réflexion ne sera parvenu à articuler qu’une litanie d’arguments étriqués, déconnectés de la réalité, voire mensongers.
Pour ne relever qu’une des inepties dont il truffe sa prose, M. Ekstein affirme que leurs institutions d’enseignement religieux ne sont pas subventionnées par le gouvernement. Pincez-nous, quelqu’un! Il y a déjà des lustres, Michèle Courchesne, ministre de l’Éducation, menaçait de couper les vivres à ces bantoustans intégristes qui refusent de se conformer à la loi sur l’instruction publique. Même Rima Elkouri s’est insurgée contre la ségrégation subventionnée dont bénéficient les écoles illégales hassidiques.
J'avoue, par ailleurs, avoir pouffé de rire lorsqu'il a prétendu qu'ils n'ont jamais tenté de nous imposer leurs valeurs. Je n'ai pas pu faire autrement que de penser à mon frigo qui, à mon corps défendant, est rempli à 80% d'aliments cachers. Même nos chiens sont forcés de s'y convertir!
Contre modeste aumône, les croquettes de Pitou reçoivent, elles aussi, la bénédiction du rabbin de service. |
Mais plutôt que de nous laisser entraîner dans les élucubrations mythomanes de l'auteur, revenons à l’essentiel.
Appelons un chat un chat. Ce qu’Abraham Ekstein qualifie d’école n’a rien à voir avec notre conception de ce lieu d’apprentissage. Il s’agit en fait de yechivot, l’équivalent juif des madrasas islamistes.
Dans ces centres ségrégués, on se dévoue presque entièrement à l’étude de la Torah, du Talmud, des prophètes ou des grands maîtres de la pensée religieuse. On y promeut le raisonnement cabalistique et le débat initiatique.
Adolescents de la yechiva du 6355 avenue du Parc quittant l'établissement lors de la descente du DPJ |
En revanche, cherchez les projets orientés vers l’insertion dans la société ou l’ouverture sur le monde. Certes, on vous apprendra à additionner et peut-être même à multiplier, mais on soustraira à votre éducation toutes notions de base en histoire et en sciences susceptibles d’entraîner la division de la secte.
À cette enseigne, Darwin est un hérétique au même titre que l’a été Galilée à l’époque de l’Inquisition. Qu’on se le tienne pour dit : l’univers a été créé il y a 6 000 ans. Et ne vous avisez pas de pervertir la jeunesse hassidique en prétendant qu’un volcan peut être considéré éteint après 100 000 ans d’inactivité.
Abraham Ekstein devant sa yechiva |
Qu’importe si, année après année, la Commission consultative de l’enseignement privé signale que plusieurs de ces centres (qui existent chez nous depuis plus de 60 ans!) ne se conforment ni à la Loi sur l’enseignement privé, ni au Régime pédagogique, ni au Programme de formation de l’école québécoise, ni aux exigences de qualification du personnel enseignant, M. Ekstein persiste et signe. La communauté hassidique respecte les lois du pays, veille à l’intégration de sa progéniture à la société québécoise de sorte qu’elle en sorte gagnante. Vraiment? On aimerait bien connaître le secret de cette formidable planche de salut que représenteraient les études talmudiques.
Un rapport de Statistique Canada (Enquête nationale auprès des ménages -2011) indique qu’au Québec, le pourcentage des détenteurs d'un diplôme universitaire est de 23,3 % (46,5 % dans la région de Montréal pour la tranche de population de 25 à 64 ans) et que le taux d'emploi des Québécois qui sont allés à l'université est de 81,8 % contre 53,9 % pour ceux qui n'ont aucun diplôme. Par ailleurs, une étude de l’OCDE révélait que les Canadiens qui ont fait des études supérieures gagnaient 40 % de plus que ceux qui ont un diplôme de secondaire
Qu’en est-il des ultra-orthodoxes de Montréal? À défaut de disposer de statistiques locales, on s’appuiera sur les données compilées par l'organisation philanthropique juive UJA-Federation of New York.
Rappelons que puisque les groupes hassidiques établis dans la métropole constituent une succursale du grand mouvement ultrareligieux de New York et qu’ils vivent pratiquement en osmose et selon les mêmes principes, ces chiffres constituent un bon indicateur de la situation montréalaise.
Ultraorthodoxe new-yorkais dans un marché de fruits et légumes subventionné |
Dans ce rapport, on apprend que le niveau de scolarité des hassidim est de loin le plus bas parmi toutes les communautés juives. Seulement 11 % des hommes et 6 % des femmes hassidiques vivant à New York détiennent un baccalauréat. En revanche, 63% des garçons (75% des filles) hassidiques ont, au mieux, terminé leurs études secondaires. Se surprendra-t-on alors que 59 % des ménages hassidiques new-yorkais vivent sous ou à la limite du seuil de pauvreté? Cela représente un taux près de deux fois plus élevé que celui de l’ensemble des ménages de la Big Apple! Bien sûr, M. Ekstein continuera à répéter que l’éducation religieuse n’a absolument rien à voir avec leurs conditions de vie.
De son côté, Lani Santo, la directrice de l’organisme new-yorkais qui vient en aide aux ex-hassidim, aura beau déplorer que les ultraorthodoxes soient forcés de recourir à l’aide de l’état extrêmement fréquemment pour survivre, rien n’y fera. Le satmar Abraham Ekstein répétera comme ses 100 bénédictions quotidiennes que leur éducation ne les empêche pas de fonctionner dans un monde moderne et que la prévalence de l’assistance sociale dans leurs familles «n’est pas au-dessus de la moyenne québécoise».
Quand on entend ce bon vieux Alex Werzberger raconter que ceux qui quittent «sont morts pour nous», doit-on s'étonner que le décrochage soit presque inexistant dans les yechivot, comme s'en vante Ekstein? Pour se rebiffer, il faut bien plus qu'un sacré culot. On parle de l'énergie du désespoir.
Par ailleurs, Ekstein ne prend pas beaucoup de risques en prétendant que la criminalité à l'intérieur de ces usines à psaumes est pratiquement nulle.
D'une part, pour pouvoir mettre un pied dans ces institutions sectaires où tout étranger est persona non grata, le DPJ doit parfois se pointer avec l'appui logistique des forces policières. Mais s'il n'y avait que cela.
Images d'une très courte vidéo non identifiée trouvée sur Internet. On y voit un enfant dans une classe se faire donner une taloche par un adulte ultraorthodoxe en autorité. Cliquer ICI pour voir la vidéo |
Le principe de la Mesira
Le plus grand obstacle pour débusquer d'éventuels méfaits ou actes criminels au sein des groupes ultraorthodoxes est probablement le respect du principe de la Mesira, cette loi religieuse qui interdit à un juif de dénoncer les agissements d’un de ses coreligionnaires à des autorités non juives.
Au sein de ces communautés hassidiques, où qu'elles se trouvent dans le monde, cette lourde loi du silence est une règle que très peu semblent oser briser. Qu'il soit question de graves cas d'agression sexuelle sur les enfants, de fraude fiscale, de blanchiment d'argent, de corruption ou de trafic d'organes humains, le mot d'ordre est encore motus et bouche cousue! Et gare à celui qui osera rompre le silence.
À New York, par exemple, Nuchem Rosenberg, un rabbin satmar qui avait dénoncé ce qu'il qualifiait de «chaîne de montage du viol d'enfants» au sein de sa communauté en a payé le prix.
Lanceur d'alerte, le rabbin Rosenberg a fait une cabale qui l'a, entre autres, mené à l'émission d'Anderson Cooper, sur CNN |
Bien avant d'apparaître à CNN dans le cadre de la série Digging Deeper (cliquer ICI pour visionner ce reportage troublant), Nuchem Rosenberg a été l'objet d'innombrables menaces de mort, en plus d'être ostracisé par sa secte.
Au lendemain de la condamnation à la prison ferme d'un des accusés de pédophilie, le rabbin qui n'avait pas froid aux yeux a bien failli perdre la vue après s'être fait lancer de l'eau de Javel au visage par un certain Meilech Schnitzler qui, soit dit en passant, n'a éprouvé aucun remords à la suite de son geste. Bien au contraire.
Meilech Schnitsler, le justicier à l'eau de Javel de Brooklyn. |
Rompre le silence est tellement mal vu que le père d'un délateur juif qui a contribué à faire coffrer des truands de sa communauté considère, qu'à ses yeux, son fils est mort.
Forts de ces enseignements et sachant toutes les abominations qui se sont produites au sein de l'Église catholique, y a-t-il une seule raison de penser que de tels actes d'horreur ne sont pas fortement susceptibles de se produire au sein de ces mouvements religieux qui font des pieds et des mains pour s'emmurer, se refermer sur eux-mêmes et nous tenir à très bonne distance?
Devant l'extrémisme, l'extrême vigilance s'impose.
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