mercredi 23 décembre 2009

LE FIL DE LA DISCORDE : COMPTINE VÉCUE


Il était une fois, une maman douce et un papa en or. Pour élever leur jeune progéniture, les tourtereaux ont choisi de faire leur nid dans un coin de paradis.


Sur les sommets de la montagne, les maisons s'élèvent, plus cossues qu'ailleurs. Les gens, bien éduqués et plus prospères, sont distingués à souhait. Les trottoirs impeccables débouchent sur des parcs aux gazons coupés à la serpe et où de petits ruisseaux dévalent entre magnolias, lilas, chênes et grands pins.

Dans ce havre de paix,
rien n'est négligé. Même le déneigement et le déglaçage s'y font avec deux fois plus de moyens que partout ailleurs dans le royaume. Bienvenue à Outremont-en-Haut!

Fraîchement emménagés, Tristan et Iseult (noms fictifs) comptent bien filer un parfait bonheur dans leur grande chaumière minutieusement restaurée. L'intérieur est si chaleureux que le quotidien familial s'installe rapidement.

Chaque soir, le couple borde les enfants selon un rituel immuable. Tristan démarre le bal
en entonnant Bonhomm', bonhomm', sais-tu jouer? " Les marmots frétillent d'excitation. Puis, Iseult prend le relais en leur chantonnant "Là haut sur la montagne l'était un vieux château...". La fébrilité se transforme en concert de bâillements. Le marchand de sable s'occupe du reste. Tristan et Iseult sortent de la chambre sur la pointe des pieds.

Mais, dès qu'ils
ferment la porte derrière eux, l'ambiance bon-enfant disparait et une angoisse lancinante les envahit à nouveau.

Depuis quelque temps, Tristan et Iseult sont préoccupés. Ils ont la désagréable sensation que l'âme des anciens propriétaires hante toujours les lieux. Leur malaise a commencé chez le notaire, il y a quelques mois.

Au moment de signer la transaction, le propriétaire vendeur avait formulé une requête spéciale. D'obédience hassidique, il réclamait que les nouveaux acquéreurs ne rompent pas le "lien sacré" que le rabbin de la communauté avait fait placer sur la demeure.

Iseult avait bien remarqué cette espèce de fil à pêche fixé sur une brique de la façade et elle comptait bien s'en débarrasser. Contrarié de l'entendre, le vendeur avait enjoint Tristan et Iseult de n'en rien faire sans d'abord en avoir discuté avec le rabbin. Ce dernier saurait bien trouver un argument pour leur faire entendre raison.

Bonne princesse, Iseult est entrée en contact avec le fameux rabbin à qui elle répéta leur intention de sectionner ce que l'homme en noir qualifiait d'érouv.

Le chargé de mission divine déploya tout son arsenal pour dissuader le couple goy de mettre à exécution son plan maléfique. Devant tant de ténacité, Iseult a finalement choisi d'user de ses talents de fine négociatrice. Elle fit une proposition que le rabbin entêté ne put refuser. "Je suis bien prête à être accommodante, dit-elle, mais pour la brique que vous avez percée pour ancrer votre fil, je vous demanderai un loyer de 100$ par mois." Soulagé, le rabbin déclara l'affaire conclue.

Le premier mois, Iseult reçoit un chèque au montant du loyer. Le mois suivant, le loyer arrive avec quelques jours de retard, mais pas de quoi en faire un plat. Le troisième mois, Iseult doit téléphoner au rabbin pour lui réclamer son dû. Les quatrième, cinquième et sixième mois, pas de chèque.

Entretemps, les ouvriers qui parachèvent les travaux de rénovation à la résidence de Tristan et Iseult arrachent un étrange bout de bois de près de deux mètres de longueur plaqué contre la maison. Au bout du piquet, un fil noué courait jusqu'à la clôture de la propriété. Quelques jours plus tard, une voiture se stationne dans l'entrée de la maison. Deux hassidim en descendent et annoncent à Iseult qu'ils viennnent remettre en place le "poteau" enlevé par les ouvriers. Iseult, désormais propriétaire en titre, leur refuse l'accès. Pendant les jours qui suivent, les ouvriers l'avisent que plusieurs hommes à redingote rôdent autour de la propriété.

Puis, un soir, entre chien et loup, Iseult aperçoit une vieille fourgonnette qui s'arrête juste devant son entrée de garage. Quatre hommes en sortent. Menue, mais toute en nerf, Iseult se met en travers de leur chemin et leur ordonne de quitter sa propriété sinon c'est la police qui s'en chargera. Sur un ton pas conciliant du tout, l'un des membres du clan hassidique lui lance sèchement: "You will speak english to us". Ne s'en laissant pas imposer, la maman douce se transforme en maman ourse. "Vous voulez que je vous le dise en anglais? Parfait! Fuck you and get out of here!" Surpris par sa fronde, les quatre hommes battent en retraite au moment où une voiture de la Sécurité publique s'approche par hasard. Iseult a eu chaud.

C'en était trop. Le lendemain, elle rappelle le rabbin et décrète que le "bail" est résilié pour non-respect de son obligation de paiement. Par la même occasion, elle l'avise que l'érouv allait être coupé. Le rabbin fulmine.

Iseult loge un appel au département des travaux publics d'Outremont et demande que l'on dépêche un camion à nacelle pour faire enlever l'érouv. Moins de 24 heures plus tard, les cols bleus se pointent sur les lieux, mais avant qu'ils n'aient eu le temps de grimper dans la nacelle, des hommes en noir les rejoignent. La discussion dure quelques minutes, puis les employés municipaux qui ne veulent pas avoir de fil à retordre avec les mercenaires de la secte, repartent sans avoir exécuté le travail.

Le jour suivant, un employé du département des travaux publics téléphone chez Tristan et Iseult et suggère au couple de couper eux-mêmes le fil de la discorde. Ils se proposent simplement d'aller ramasser les débris qui se retrouveraient sur la voie publique. Quelques jours à peine plus tard, les ouvriers du couple ont vu une brigade érouvienne affairée à tendre un nouveau fil de fer. Il prenait désormais origine à deux maisons plus à l'est, de l'autre côté de la rue, traversait la voie publique devant la résidence de Tristan et Iseult pour aboutir sur l'érable centenaire d'un imposant manoir loubavitch.

Tristan et Iseult n'en ont plus entendu parler, mais cela a tout de même changé quelque chose dans la quiétude de leur vie. Désormais, Tristan ne chante plus
Bonhomm', bonhomm', sais-tu jouer? sans éprouver un certain trouble. Chaque fois qu'il entame le refrain, un frisson lui parcourt le corps. Il se demande si la chanson ne serait pas d'origine hassidique tellement ceux-ci semblent vouloir imposer leurs lois partout. "Tu n'es pas maître dans ta maison, quand nous y sommes!"

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Un vrai petit trésor cette comptine!! Bravo pour ce beau récit! Vous avez un sacré talent et...un bon sens de l'humour.
J'ai comme l'impression que, éventuellement, ces bonhommes en noir vont devenir la risée du Royaume d'Outremont.
Il y aurait assez de matériel pour une saga humoristique à la télévision mais qui auserait attaquer cette tâche?? :-)

fratellino a dit…

Une histoire d'horreur bien tournée.

Permettes-moi de passer des "manteaux noirs" au "manteau blanc" d'Outremont, puisque vous y faites allusion dans votre conte. Ainsi donc, le déneigement coûte beaucoup plus cher à Outremont entre autres à cause des "pentes du Mont-Royal". Soit. Mais quelqu'un peut-il nous dire combien coûte, au Km, le déneigement à Sherbrooke, ville réputée pour n'avoir aucune rue qui ne soit pas en pente? On pourrait peut-être alors commencer à comparer des Spartan à des McIntosh?

La Coffrée a dit…

Sujet: félicitations

Message: J'adore ce que vous faites! J'adore ce que vous écrivez! J'adore votre humour!
Bref je vous adore!
J'ai mis votre photo partout dans ma cellule (ce qui fait râler mes infirmiers parce qu'ils ne sont pas aussi beaux que vous, alors ils me battent, m'enfilent (la camisole) et déchirent les photos mais je m'en fous, après je vais sur votre blog et je vous regarde pendant des heures et je réimprime des photos de vous et quand je sortirai d'ici je vous épouserai. ( . ) ( . )

Anonyme a dit…

Suite à la lecture de différents messages illustrant des gestes de délinquance et aussi des gestes de menaces qu'ont subit des citoyens dans l'arrondissement d'Outremont, et je crois plus particulièrement dans le district Claude Ryan, il devient impérieux qu'une escouade policière fasse une surveillance accrue du quartier ci-haut mentionné afin que soient arrêtées, et cela rapidement, les personnes hors-la-loi qui harcèlent, intimident, perturbent la quiétude du quartier.

Anonyme a dit…

Je tiens à vous dire toute mon admiration pour votre œuvre d’information, solide sur le fond, bien écrite et avec un côté humoristique qui permet de sourire un peu plutôt que de se fâcher "noir" en lisant les faits et gestes de notre communauté outremontaise. Continuez, je vous en prie.

Meilleurs vœux de Noël (avec retard) et Bonne Année 2010 (en avance).

ps : votre comptine est un chef-d’œuvre.

Anonyme a dit…

Excellent, comme d'habitude!

Anonyme a dit…

Accommodements Outremont, l'oeil impitoyable de dieu sur ses fidèles pieux.

Anonyme a dit…

Je dirais même l'oeil de dieu sur ses élus et leurs élus.

Mariclaude Ouimet a dit…

Une leçon de vie à apprendre et surtout à retenir de la part de la communauté juive hassidique: solidarité et ténacité !

Pierre, tu es tenace dans tes dénonciations (un grand merci), à nous d'être solidaires de ton discours, non seulement par nos commentaires sur ton blog mais bien en nous exprimant haut et fort auprès de nos ''chers'' élus !

Il faut agir au plus vite car, de faveurs en pseudo accommodements nos élus, riches du vote hassidique, aliènent Outremont à une minorité ultra-orthodoxe.

Je nous lance un défi pour 2010: faire acte de présence et surtout de paroles à toutes les réunions du conseil (les premiers lundis du mois)pour exiger, solidairement, que tous les passe-droits accordés à une minorité soient rendus publics et que nous ayons un droit de vote sur ces derniers.

Depuis trop longtemps, c'est une petite poignée d'élus qui décide au détriment et à l'insu d'une majorité de la population et cette politique doit cesser.

Bonne année à tous les bien-nommés et à tous les anonymes ! En espérant vous revoir le lundi 11 janvier 2010.