Pendant près de 250 ans, les leaders des sectes hassidiques sont parvenus à confiner leurs ouailles à l’intérieur de l’érouv. Au XVIII, XIX et XXe siècle, c’était relativement simple. L’œil de Dieu était seul à pouvoir jouer les Big Brother, pénétrer l’intimité de chacun et réfréner les pensées «déviantes».
Or, depuis une vingtaine d’années, Yahvé a perdu son monopole. Internet lui fait une concurrence que les rabbins hassidiques redoutent comme la peste. S’il était facile de mettre les livres à l’index, de bannir les journaux, la radio et la télé, il est nettement moins aisé de combattre WiFi, ce démon invisible qui vous colle au bout des doigts. Même intelligents, les téléphones cachères ne peuvent offrir la garantie des ceintures de chasteté contre les petits futés.
Yohanan Lowen à TLMEP |
Mendy Marcus |
En 2008, l’auteur et réalisateur Eric Scott présentait son film Quitter le bercail où il nous racontait l’histoire de cinq jeunes qui sont nés et qui ont grandi dans un milieu juif ultra-orthodoxe et qui souhaitaient s’en échapper.
Souhaitons que la poursuite intentée par Yohanan Lowen fera boule de neige, si elle ne crée pas carrément une avalanche. Et pas seulement au Québec.
Naftuli Moster |
À
Brooklyn, à peine quelques jours plus tôt, un jeune homme de 28 ans
envisageait, lui aussi, de poursuivre le New York State Education Department.
Naftuli Moster, cet ancien étudiant d’une école talmudique de la secte Belz
dénonce le fait que depuis des décennies, le département d'éducation de l’état finance
à coup de millions ces écoles religieuses qui dispensent un enseignement qui contrevient
carrément aux normes de l’état.
Dès l’âge de 13 ans, Naftuli affirme avoir été
confiné 14 heures par jour dans une yeshiva sans pouvoir apprendre un traître
mot d’anglais, ni de mathématiques, d’histoire, de science, de géographie, de
musique.
Frustré par l’éducation lamentable qu’il a reçue, Naftuli
avait déjà fondé, en 2012, le Young Adults For a Fair Education
(YAFFED), une
organisation destinée à promouvoir une éducation séculière au sein des écoles
ultraorthodoxes. Faut-il se surprendre qu’il soit aujourd’hui qualifié de
renégat par ses anciens éducateurs?
Gedalya Gottdenger |
Il
est loin d'être le seul. À 21 ans, Gedalya Gottdenger se considère lui aussi un
éclopé du système religieux. Les cours d’anglais qu’on lui donnait? «C’était
une vraie blague; le but était de nous garder en classe pendant deux heures
simplement pour faire croire au gouvernement que l’on nous apprenait l’anglais,
mais ça n’avait rien à voir avec de l’enseignement.»
Les colonnes du temple commencent à se fissurer, mais les leaders intégristes ont encore de beaux jours devant eux.
À Londres, dans le seul quartier de Hackney, entre 800 et 1000 garçons hassidiques de 13 à 16 ans sont disparus de la liste du système scolaire pour se retrouver dans des écoles religieuses illégales (voir le reportage diffusé le 14 juillet 2014)
Une des nombreuses écoles illégales hassidiques de Londres - autre continent, mêmes problèmes! |
On ne soupçonne pas les méthodes qu’ils utilisent pour empêcher leurs disciples de prendre la clé des champs.
Le 8 août 2014, c'était la chaîne London Live TV qui diffusait une entrevue réalisée avec Moishy (nom fictif), un rescapé d'une autre secte hassidique du quartier de Stamford Hill. Il faut entendre ce garçon déballer tout ce que ses parents et ses enseignants lui racontaient à propos du monde extérieur pour le dissuader de quitter la secte:
« I was told that
everything outside is bad. Not only non-Jews, but anybody that don’t follow
haredi lifestyle. We were told that non-Jews were like cattle. They are born, they
mate and were created to help us, to enable us to learn Talmud and follow the
path given by God.»
À Londres, Moishy (nom fictif) s'est tour à tour fait offrir de l'argent puis menacer afin qu'il ne quitte pas la secte. |
Pour quitter ces communautés, il faut un courage fou et une détermination à toute épreuve. Le lavage de cerveau, le manque cruel d’éducation, l’absence de repères adéquats, la façon dont on dépeint le monde extérieur et le chantage émotif ne sont pas les seuls obstacles à surmonter. Pour sauver sa petite famille, Yohanan Lowen a même été forcé de mettre une croix sur ses proches restés sur place.
D'autres comme Lynn Davidman, élevée dans un milieu ultrareligieux de Brooklyn, a aussi vécu l'angoisse. En mordant dans son premier cheeseburger, elle a craint pour sa vie. Elle pressentait qu'un châtiment divin viendrait la punir d'avoir touché à un plat non cacher. On part de loin, n'est-ce pas?
Dans ce monde schizophrénique, une maladie, une agression sexuelle subie par un membre de la famille, un suicide ou une désertion sont des taches qui souillent l’ensemble de l’entourage. Bonne chance à celui qui voudrait trouver un bon parti à la sœur ou la fille de celui par qui le scandale arrive. Le geste de l’un marque la famille entière du sceau de la honte. On comprend alors combien il est pénible et traumatisant de sauter la clôture. Le sentiment de culpabilité est immense.
Il faut vraiment visionner les témoignages de certains membres de l’organisme Footsteps pour comprendre la traversée du désert qu’entreprennent ceux et celles qui, comme Chani Getter, quittent leurs sectes.
Certains racontent les agressions physiques, sexuelles et psychologiques subies par plusieurs de leurs ami-e-s, mais jamais dénoncées. Il y a aussi cette détresse qui a poussé une jeune fille promise à un mariage arrangé à acheter du poison à rat qu'elle a caché sous son lit avant de se décider à prendre plutôt... la poudre d'escampette.
Les cas de suicide chez les anciens hassidim ne sont pas rares. Une étude réalisée en Israël révèle que les anciens ultraorthodoxes sont trois fois plus nombreux à manifester des tendances suicidaires comparés aux autres segments de la société. Avouons que ce n'est pas rien.
Souhaitons que le ministre Bolduc remettra ses culottes et reniera son entente ridicule avec l'Académie Yeshiva Toras Moshe du Mile-End. Ça demande 100 fois moins de courage que de quitter l'une de ces sectes.
4 commentaires:
J'avais prédit à mon chéri, il y a peu de temps, que le Iphone provoquerait une révolution au sein de cette communauté. Il semble que mes dires deviennent réalité...
Cher Pierre,
Je te félicite d'abord pour ton blog qui dénonce tous les travers de l'ultra-orthodoxie hassidique et surtout qui fait la lumière sur les véritables faits qui y sont liés partout dans le monde. Ton travail est rigoureux, juste et tellement pertinent.
Je pense que tu as tout à fait raison quand tu dis que ça demanderait ''100 fois moins de courage (au Ministre Bolduc mais aussi à tout autre gouvernement du monde entier par le fait même) que de quitter l'une de ces sectes''.
Bravo et j'espère réellement que ta voix et celle de Yohanan et de tous ses semblables puissent faire écho aux oreilles des plus hauts dirigeants de tous les pays où des populations entières sont prises en otage, au nom d'intérêt très certainement autre que divin!
Vous écrivez: "Souhaitons que le ministre Bolduc remettra ses culottes et reniera son entente ridicule "
Désolé, mais vous lui prêtez une possible intelligence et un possible courage que le dogmatisme politique interdit.
Reste à espérer que de plus en plus de jeunes auront le courage que vous décrivez chez ceux qui ont quitté(e)s.
Je vois souvent des ados hassidiques (uniquement des garçons) à la bibliothèque d'Outremont, devant les ordinateurs. Non, ils ne regardent pas la porno, mais c'est tout comme. Des images du monde autour d'eux et qui leur est interdit.
Par contre, c'est ironique qu'Internet peut également répandre les prêches violents des imams radicaux, et les discours des ultras hindous (moins connus ici mais tout aussi violents et misogynes).
Très peu de partis politiques contestent les subventions accordées aux écoles religieuses privées (de toute confession) qui ne respectent pas le programme du ministère de l'Éducation, ni les chartes des droits de la personne.
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