mercredi 24 décembre 2014

L'ÉDUCATION PAR LES LIVRES, M. BOLDUC




Depuis que Yohanan Lowen a servi une mise en demeure au gouvernement du Québec qu’il accuse de l’avoir abandonné aux mains des écoles religieuses, la roue semble commencer à tourner.

Nous apprenions, il y a cinq jours, que si le gouvernement Couillard ne propose pas d’ici quelques semaines un règlement pour dédommager M. Lowen, c’est un recours collectif qui pourrait être brandi (voir le reportage de TVA).

Selon Me Marc-Antoine Cloutier, le président-directeur général de la Clinique juridique Juripop, il s’agirait d’un recours collectif majeur, voire historique dans l’histoire du Québec,  puisque de nombreuses victimes de ces écoles pourraient décider de se joindre à la poursuite. L’avocat de Yohanan Lowen se prépare donc à déposer une demande d’autorisation pour intenter ce recours collectif.

Quelque chose me dit que l’affaire risque de prendre des proportions que le gouvernement ne soupçonnait pas.

Mais à quelques heures de Noël, vous entretenir de contentieux judiciaires n’est pas vraiment de circonstance. Que diriez-vous plutôt de quelques suggestions de livres pour découvrir quelques tranches de vie au sein des sectes hassidiques? Vous pourrez dévorer ces petits bijoux pendant vos vacances de Noël.


Une conception de la liberté
Pour se mettre dans l’ambiance, je ne peux résister à la tentation de vous présenter le choix de lecture de la fille de Yohanan. Un amour d’enfant que son père a immortalisée en train de décrypter à sa façon un gros livre en hébreu. 

Sur une vidéo d’à peine neuf secondes, vous la verrez enfiler de gauche à droite un ouvrage qui devrait plutôt se lire de droite à gauche. Voici ce que ça donne : «Liberty  is really important for these Jews. Now, it is time to stop this hashem*.»  Wouppelai!  Il n'y a pas d'erreur; c'est la fille de son père!
* Hashem signifie Dieu
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Deborah Feldman

Il est fort possible que vous n’ayez jamais entendu parler de Deborah Feldman. Mais au sein de la secte satmar de Brooklyn, cette jeune femme a créé un véritable séisme. À 23 ans, non seulement a-t-elle décidé de quitter la communauté hassidique avec son enfant sous le bras, mais elle a eu l’audace de publier non pas un, mais deux livres pour dénoncer l’intégrisme juif qui lui a empoisonné la vie. Cela lui a valu d’être conspuée, calomniée et démonisée par les membres de son ancienne secte qui l’ont même surnommée Eichmann! Après Unorthodox: the Scandalous Rejection of My Hasidic Roots, Deborah Feldman a récidivé avec Exodus. Deux bouquins qui nous en apprennent des vertes et des pas mûres!

Leah Vincent
Il ne faut parfois pas grand-chose pour voir sa vie basculer. À 16 ans, Leah Vincent n’aura eu qu’à échanger quelques lettres avec un garçon de la communauté hassidique pour que ses parents soient impitoyables. Craignant que cette incartade ne nuise aux mariages de leurs dix autres enfants, ils la chasseront de la maison. Leah se retrouvera seule à Brooklyn. Sans ressources et démunie sur tous les plans, elle sera violée, puis s’enfoncera  dans l’automutilation, la prostitution et la folie. Après avoir touché le fond, elle parviendra tout de même à se reprendre en main. Jusqu'à décrocher une maîtrise de Harvard! Avec Cut me loose: Sin and Salvation After My Ultra-Orthodox Girlhood, Leah Vincent nous propose un récit dur, mais prenant. J'ai bien aimé.

Quoi qu'on nous raconte, le monde hassidique vit sous une étouffante chape de plomb. La question des agressions sexuelles au sein de ces sectes est un tabou. La règle est claire : une victime se doit de protéger sa communauté de ses propres crimes. Et gare à celui ou celle qui refuse de supporter l’insupportable. La dénonciation lui vaudra menaces, réprobation et bannissement.

Grâce au silence imposé, les agresseurs sont encore trop souvent protégés. À New York, il se passe rarement un mois sans qu’une ou deux personnes agressées au sein de la communauté mettent fin à leurs jours


Judy Brown, alias Eishes Chayil
À l’âge de 23 ans, c’est en parlant à un thérapeute que Judy Brown a compris ce que le mot viol signifiait. Élevée au sein d’une secte ultraorthodoxe, elle avait été témoin dans son enfance du viol d’une de ses petites copines qui avait fini par se suicider. En 2010, Judy écrira Hush pour dénoncer ce fléau qui ravage son monde de l'intérieur. Elle le publiera sous le pseudonyme de Eishes Chayil afin de protéger sa famille et ses amis des représailles de la communauté. Puis, après le meurtre sordide d’un garçon de huit ans, à Brooklyn, Judy dévoilera sa véritable identité. C’est à visage découvert qu’elle a souhaité que l’on apprenne aux enfants que l’habit ne fait pas le moine. Un récit que j’ai trouvé poignant.

Anouk Markovits
Anouk Markovits ne sera pas la première jeune femme à fuir la communauté hassidique pour échapper à un mariage arrangé. À 19 ans, elle quitte la France pour se réfugier aux États-Unis où elle entreprendra des études laïques. Elle obtiendra un Master d’architecture de la School of Design de Harvard et un PhD en études romanes à l’université Cornell. Chapeau!

Avec Je suis interdite, Mme Markovits nous raconte la saga d'une famille satmar sur quatre générations, depuis la Transylvanie des années 1930 jusqu'à Williamsburg (Brooklyn) où les chemins de deux soeurs se séparent puisque l'une baigne de plus en plus dans la foi alors que l'autre est attirée par les livres et le savoir. Je ne vous raconte pas la fin puisque... je ne suis encore qu'à la moitié du livre!


Je vous parlerais bien aussi du premier livre de Eve Harris qui s'intitule The marrying of Chani Kaufman, mais j'en suis aussi seulement au milieu de la lecture. En deux mots, c'est l'histoire d'un jeune ultraorthodoxe de 22 ans qui se magasine une femme. On découvre qu'un mariage n'est pas une simple entente consensuelle ente deux personnes, mais bien une affaire qui concerne les familles, les amis et, tant qu'à y être, pourquoi pas toute la société hassidique.

Shalom Auslander
Vous trouverez peut-être que ça manque d'hommes. Je ne saurais trop vous dire si c'est relié au fait que les filles des communautés hassidiques sont généralement plus éduquées que les gars. N'empêche que si vous voulez vous bidonner un bon coup, je vous recommande vivement La lamentation du prépuce, de Shalom Auslander. Né à Monsey (État de New York) d'une famille de juifs orthodoxes, il est particulièrement critique envers le judaïsme et la culture juive, ce qui ne l'empêche pas de vous décaper tous les fondamentalismes religieux.

Bonne lecture et bonne année. On se reparle en 2015. Inch Allah!