vendredi 16 janvier 2015

THE WORLD IS WATCHING YOU!



Ce qui s’est produit à l’hôtel de ville d’Outremont, le 12 janvier dernier, est aussi rare que l’alignement des planètes du système solaire. Tant la conseillère de Projet Montréal, Mindy Pollak que les conseillères Céline Forget et Jacqueline Gremaud ont démenti la mairesse Cinq-Mars sur ce que l’on peut désormais appeler la crise des Souccot.

Alors que cela fait cinq mois bien sonnés que le processus de modification du règlement 1177  touchant les Souccot, Marie Cinq-Mars a eu l’audace de répéter aux citoyens dans la salle qu’elle n’avait jamais été d’accord pour modifier le temps alloué pour monter ou démonter les cabanes.


Au fil de la soirée, Cinq-Mars s’est évertuée à égrener son chapelet à l’envers : «J’ai toujours dit que ce n’était pas nécessaire.» «Nous avions un règlement qui ne faisait pas problème.» «Les fonctionnaires nous ont rapporté très peu de plaintes.» «Je ne voulais pas mettre de l’huile sur le feu.» «Je souhaitais que la paix soit préservée.» 


Cinq-Mars n'avait pas les pommettes rouges pour rien
Dans la salle, certains citoyens se demandaient si la mairesse ne s’était pas récemment frappé la tête sur les plaques de glace de ses trottoirs. A-t-elle vraiment tout oublié? Chacun à sa manière et pour des raisons bien différentes, les uns et les autres se sont chargés de lui rafraîchir la mémoire.

À la suite d’une question d’une citoyenne, Mindy Pollak a contredit la mairesse sur l’origine de l’affaire : «The issue wasn’t raised for the fun of it. The actual by-law was hard to apply». De fait, les fonctionnaires estimaient que le règlement était difficilement applicable puisqu’il ne spécifiait pas de date de début de la période de 15 jours pendant lesquels les cabanes étaient permises.

La conseillère Jacqueline Gremaud s’est, à son tour, étonnée des propos de la mairesse, rappelant que le 6 octobre 2014, cette dernière avait voté pour la proposition d’accorder trois jours avant et après la fête pour l’érection et le démantèlement des cabanes. «Je suis surprise d’entendre Mme Cinq-Mars dire [aujourd’hui] qu’elle ne veut pas ouvrir ce débat alors que tout le travail a été fait. Tout le processus est terminé. Et là, on arrive à l’étape du vote et tout tombe à l’eau et… on revient au règlement qui n’est pas applicable.»

Non seulement Marie Cinq-Mars a-t-elle voté pour la modification du règlement, mais le 29 octobre suivant, elle a présidé en grandes pompes une consultation publique au Centre intergénérationnel pour entendre les doléances et les suggestions des 200 citoyens qui s’y sont présentés. Le 1er décembre 2014, la mairesse a aussi participé au vote du deuxième projet de règlement qui a été adopté à la majorité du conseil. Cette dernière mouture, plus souple que les 15 jours du règlement actuel, accordait davantage de temps aux célébrants puisqu’elle ne comptabilisait plus les jours fériés avant et après la fête.

Quant à la conseillère Céline Forget, elle a dénoncé le fait que Cinq-Mars ait profité de la démission d’une conseillère municipale pour tirer la plug et empêcher la tenue du vote final sur la question. Au diable les centaines de personnes qui ont participé au débat, à toutes les autres qui se sont donné la peine de donner leur avis par écrit. À elle seule, Mme Cinq-Mars semble estimer peser plus lourd que la décision légitime de majorité du conseil.


Mme Forget a aussi déploré le peu de cas dont a fait preuve la mairesse vis-à-vis du processus démocratique. Elle a rappelé qu’un avis public avait été publié en bonne et due forme dans les journaux afin d’informer les citoyens qui auraient pu être en désaccord avec la teneur du nouveau règlement qu’ils pouvaient signer un registre permettant de déclencher la tenue d’un référendum sur la question. Or pas une seule personne ne s’est présentée pour signer ce registre. «C’est bien la preuve que les Outremontais étaient en faveur de ce nouveau règlement.»

Qu'a-t-il pu bien se produire pour que la mairesse se dégonfle une fois tout le processus réglementaire complété?


Une citoyenne venue expressément de Hampstead et qui réclamait une traduction des propos des conseillères (!), a eu la bonne idée de demander à la mairesse si elle avait fait l'objet de pression dans ce dossier. 

Mme Joannie Tansky

Par son intervention au micro, Mme Joannie Tansky a répondu avec une arrogance tranquille à sa propre question: «What you are proposing is the most restrictive law in the world against the jewish people.» Instrumentalisant les horribles évènements qui se sont produits à Paris la semaine dernière, elle  a ajouté: «The world is watching you. Especially in these days when there should be tolerance for everyone.» (NDLR: Lire mon commentaire à Mme Tansky qui a publié un texte dans The Gazette)

Mme Sharon Freedman dans le feu de l'action
Toute de suite après elle, Mme Sharon Freedman, une autre fière unilingue montréalaise a pris la relève à grands coups d'hyperboles grossières.  

Elle a prétendu qu'une réglementation aussi répressive n'existe même pas dans les parties arabes d'Israël (visionner la séance du conseil, à partir de 1:00:00). Dans son anathème, elle a plaint tous ces pauvres Outremontais qui seraient traînés devant les tribunaux, qui se retrouveraient en prison (ah, bon?) ou forcés à payer d'énormes contraventions. 

Bien sûr, Mme Freedman n'allait pas finir son prêche sans prouver qu'elle a du «Raging Grannies» dans le sang. Si ce règlement devait être adopté, la Pasionaria de Côte-Saint-Luc a menacé de sortir l'artillerie lourde: «I will make sure that you will be around all over the world, all over CNN». Nous en tremblons encore, M'am! 

Mayer Feig, spécialiste de la tolérance à sens unique.
C'est après de tels coups de semonce qu'est débarqué Mayer Feig avec ses gros sabots, demandant à chacune des conseillères de s'habituer à se présenter  aux l'assemblées du conseil en rapportant une chose positive par mois à propos de sa communauté. 

Elle est bonne celle-là. Voilà maintenant que le porte-parole sectaire prend les conseillères pour des lobbyistes à sa solde. Une p'tite shot de Schnaps à la banane avec ça, mon Mayer?

samedi 10 janvier 2015

LA MINE BASSE


Avec le carnage du Charlie Hebdo, la liberté d’expression vient vraiment de perdre des plumes. Dans tous les sens. Et quand on voit les encriers se déverser dans les journaux pour se revendiquer de Charlie, ça sent les salamalecs de salon funéraire. Vous savez, ce lieu feutré qui embaume les chrysanthèmes et où l’on encense le défunt pour ses valeurs posthumes. Pourtant, de son vivant, on préférait ne pas trop se faire voir en sa compagnie. Parce qu’il dérangeait. Parce qu’il n’était pas politiquement correct. Parce qu’on craignait d’être soi-même éclaboussé, d’en faire les frais.

 

Si les médias se disaient derrière Charlie Hebdo, la plupart du temps la bande à Charlie avait besoin de puissantes jumelles pour les entrevoir au loin, très loin derrière. 

Au moment de la crise des caricatures de Mahomet, tous les directeurs de journaux français ont fait dans leur froc, sauf L’Express qui a publié les dessins en même temps que le successeur de Hara-Kiri. Au Québec et au Canada, à deux ou trois exceptions près, la même trouille a rendu les médias tétraplégiques. Le multiculturalisme dégoulinant a servi de taser. Il a déchargé ses salves paralysantes en criant au racisme, à la xénophobie, à la haine de la religion, à l’islamophobie.

Maintenant que les chargeurs de Kalachnikov ont été vidés sur les irrévérencieux de la plume, les timorés d’hier jouent les (72) vierges offensées et montent bravement (Hum! Hum!) aux barricades en scandant
«Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux». Le temps d'une manif, ils se prennent pour le Che.

En apôtres décomplexés de la liberté d’expression, les 12 journaux québécois ont déterré les caricatures «blasphématoires» qu’ils avaient mises sous le boisseau. Ils se sont même fait donneurs de leçons aux médias anglophones qui, eux, continuent d’être tétanisés par la crainte de déplaire au courant de pensée dominant de la société, qu’il soit politique, économique ou électoraliste.

Parlant des disparus,
Jeannette Bougrab, la compagne de Charb, l’a dit sans ambages : «Ils se sont battus pour des libertés que nous avons oublié de défendre.» Hélas!, nous pourrions soutenir qu’il ne s’agit pas d’un oubli, mais bien plutôt de libertés que nous avons peur de défendre. Car il semble bien que dans nos démocraties frileuses, les frontières de la liberté d’expression soient de plus en plus délimitées par des fondamentalistes religieux de toutes obédiences. 


Caricature de Plantu

Ces derniers jours, j’ai entendu l’entrevue qu’a accordée Arthur Dreyfus au Téléjournal de Radio-Canada. Non seulement le jeune écrivain et journaliste fustige-t-il la religion fondamentale, mais il estime qu’en démocratie, la loi des hommes doit passer avant la loi de Dieu. En matière de liberté d’expression, il revendique le «droit de pouvoir tout dire, de tous les côtés». Pour lui, ce qui vaut pour l’islamisme radical vaut pour tous les autres. Il cite aussi Coluche : «Il n’y aura plus d’antisémitisme en France quand on pourra dire d’un Juif qu’il est un con».

Hélas!, ce n’est pas demain la veille. Le deux poids, deux mesures sévira encore longtemps. Toujours dans l’affaire des caricatures de Mahomet, rappelons-nous le discours que tenait à l’époque le célèbre animateur Thierry Ardisson sur son plateau. Bien que Djamel Bouras y préconisait une loi contre l'islamophobie et dénonçait ce type de provocation qui blesserait des millions de personnes, Ardisson n’en démordait pas. «Si on commence à ne pas faire de dessin pour ne pas choquer les musulmans, dit-il, c’est la fin de la liberté d’expression.» J’applaudissais!
 

La dernière invitation de Dieudonné sur le plateau de Ardisson

Mais lorsque Dieudonné a commis son sketch sur le colon juif orthodoxe, Ardisson a, d’un coup, perdu sa sacro-sainte tolérance universelle. Choqué, voire révulsé, l’animateur attendait des excuses publiques de M'bala M'bala. Quand Dieudonné lui demande pourquoi, subitement, dans un pays où on peut s’exprimer, il existerait un sujet tabou, le libre penseur lui a servi ceci: «Parce que dans ce pays, on a envoyé pendant la guerre des Juifs dans des chambres à gaz et que ça crée un petit problème». 

Dieudonné a eu beau rappeler que des centaines de millions de Noirs ont été envoyés en esclavage pendant 400 ans et que cela n’a non seulement pas empêché l’humoriste Michel Leeb de faire un sketch où un Noir devenait un singe, mais même d’être promu Chevalier de la Légion d'honneur, rien n’y fit. Pour Ardisson, l’affaire était entendue. 


Oeuvre de l'artiste Art Spiegelman

Pour finir, je citerai Pierre Trudel, professeur de droit à l’Université de Montréal interviewé dans Le Devoir du 8 janvier dernier. «On donne énormément d’importance à des gens incapables de supporter de points de vue différents des leurs…Si la liberté de presse c’est de répéter ce qui ne choque personne, vous n’en avez pas vraiment besoin.»