Il y a de ces rencontres dans la vie qui laissent une trace indélébile, comme un tatouage gravé sur le cerveau.
C'était un soir de la fin de l'été 2007. Des gens du quartier m'avaient demandé si j'accepterais de me joindre à eux pour une séance de remue-méninges. Quelques mois plus tôt, le gouvernement Charest avait annoncé la création de la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodements reliées aux différences culturelles. Des consultations publiques allaient être menées à la grandeur du Québec et ce groupe de citoyens d'Outremont jonglait avec l'idée d'y soumettre un mémoire. Quoi? Des problèmes à Outremont? Allons donc! J'ai tout de même accepté l'invitation.
Lorsque je me suis pointé au rendez-vous, huit ou neuf personnes discutaient déjà autour d'une grande table de cuisine.
Je connaissais bien certains d'entre eux, d'autres m'étaient familiers, mais il y avait une femme que je n'avais jamais croisée auparavant dans l'arrondissement. On m'a présenté Claire. Claire Asselin.
Je n'allais pas tarder, au cours de cette soirée, à découvrir la rigueur, la droiture et l'aplomb de cette femme énergique à la tignasse rebelle et aux traits frondeurs.
À bâtons rompus, tout un chacun lançait ses idées, ses opinions, sa vision des faits et des choses, l'angle d'attaque à adopter, les coupables à blâmer. Ça pleuvait et allait dans tous les sens. Un vrai bon remue-méninges, quoi.
Puis Claire a laissé tomber une phrase: "C'est le laisser-faire des autorités qu'il faut dénoncer". En quelques mots, elle venait de me gagner et de cimenter la première pierre du mémoire que nous allions rédiger ensemble, ligne par ligne, paragraphe après paragraphe, fait après fait.
Nous ne vous dirons pas le nombre de fois que nous l'avons couché sur papier, raturé, réécrit, révisé, puis refondu après l'avoir présenté à des dizaines de personnes. Avec Claire sur le pont, pas question de lésiner sur la qualité et l'à-propos du mémoire et de tourner un seul coin rond. Jusqu'à la dernière minute avant que notre travail ne soit expédié aux commissaires Bouchard et Taylor, Claire rajustera le tir et ne laissera passer ni une inadéquation, ni une discordance, tant dans le choix des mots que dans les faits présentés.
Comment aurait-elle pu faire autrement? Bardée d'une maitrise en philosophie de l'Université Laval, d'un doctorat en linguistique du University of Chicago, Claire a enseigné plusieurs années aux États-Unis avant de venir, en 1973, contribuer au démarrage et au développement de l'Université du Québec à Montréal. Elle y restera jusqu'à sa retraite... qu'il n'était pas question qu'elle prenne. Après avoir enseigné un an à Haïti, elle revient sur les rives du Saint-Laurent et s'investit à fond à l'élaboration des Éditions Grammatix. Elle y a travaillé d'arrache-pied... jusqu'à ce qu'elle tombe comme un chêne, il y a de cela une semaine à peine.
Éprise de livres, assoiffée de justice sociale et amoureuse de son quartier, Claire aurait certes souhaité pouvoir se plonger dans le tout nouvel essai de Pierre Joncas intitulé Les accommodements raisonnables: entre Hérouxville et Outremont. Malheureusement, l'ouvrage est entré en librairie au moment même où Claire faisait sa sortie. Je sais tout de même qu'elle aurait apprécié cette dénonciation de l'incurie, de la complaisance, du parti-pris des uns et de la mauvaise foi, de l'arrogance et des manigances des autres.
Très chère Claire, je suis entré un peu tard dans l'orbite de ta planète, mais quelle révolution tu m'as fait faire! Pour tout ce que tu as construit, je te remercie au nom des 158 signataires de notre mémoire et des centaines d'autres qui ont suivi. Bon voyage.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
6 commentaires:
Merci à Pierre Lacerte de l'hommage rendu à ma soeur Claire.
Ma soeur était une femme courageuse, honnête et franche. Le meilleur
moyen de cultiver sa mémoire sera de continuer à se tenir debout devant "le laisser-faire des autorités" qu'elles quelles soient.
Bravo pour cet excellent hommage! Des personnes comme cette dame, il en faudrait plus dans notre société.
Le riche héritage de cette femme et vos interventions, monsieur Lacerte, serviront à redresser les torts de certains élus d'Outremont.
Ne baissez pas les bras! Un jour vous serez récompensé de votre persévérence.
''C'est le laisser-faire des autorités qu'il faut dénoncer.''
Je n'ai pas connu Claire mais je lui dis merci d'avoir dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas !
Je nous souhaite que son courage, son honnêteté et sa franchise nous "bottent le cul" et soient pour nous une inspiration. Et que finalement, nous disions tout haut ce que nous pensons tout bas !
Mes hommages les plus sincères.
Votre hommage aurait certainement touché Claire. Et la connaissant, je suis certain qu'elle n'aurait pas su résister à l'envie de répliquer en disant: "Ben... pour dire tout haut ce qu'on pense tout bas, il faudrait d'abord commencer par ne plus avoir peur de se nommer quand on veut faire passer un message". Son petit coup de gueule vous aurait peut-être mis mal à l'aise, mais je vous rassure tout de suite. Elle ne l'aurait pas lancé pour vous humilier. Jamais. Claire avait le don de faire prendre conscience aux gens des choses tellement évidentes qu'on n'y aurait même pas pensé. C'était aussi ça, Claire.
En réponse à Pierre Lacerte, je revendique haut et fort le troisième commentaire.
Je ne sais pas si cet bloggeur anglaise est juif, mais il semble savoir de quoi il parle.
Son article est très intéressant....
http://nodogsoranglophones.blogspot.com/2009/08/hasids-hurt-image-of-quebec-jews.html
Enregistrer un commentaire