mercredi 5 mars 2025

LES ESCLAVES D'ABRAHAM - partie 2


Depuis l’antiquité, le rêve de se soustraire à la gravité, de s’élancer dans le ciel et de flotter au-dessus des nuages n’a jamais quitté l’humanité. Mais à trop vouloir se rapprocher du soleil, on risque de se brûler les ailes et de se perdre.

Professeur titulaire au département d’histoire de l’Université d’Ottawa, Pierre Anctil s’est tellement approché des lumières cabalistiques des intégristes hassidiques qu’on dirait qu’il s’est cramé les rétines au point d’en devenir aveugle. Obnubilé par leur mythologie, son esprit critique s’est transformé en un serment d’allégeance inconditionnel. Je laisse à Frédéric Bastien — professeur d’histoire au collège Dawson aujourd’hui décédé — le soin de dénoncer la mauvaise foi renversante et les raisonnements farfelus de son collègue 
Anctil.

Un p'tit traitement à la cire fondue, les amis?

Se proclamant contre la hiérarchie des droits et refusant que l’égalité des sexes prime sur la liberté religieuse, Pierre Anctil était déjà allé jusqu’à prétendre que les institutions hassidiques ne respectaient pas les exigences du ministère parce que leurs jeunes étaient déjà submergés par un programme judaïque très contraignant et chronophage. Méchant argument, vous en conviendrez.


Anctil n’est pas le seul amicus curiae des fondamentalistes ultraorthodoxes. Sa fascination a fait des émules auprès de chercheurs qui ont développé des relations d’extrême proximité avec leurs sujets d’étude. On en retrouve une belle palette dans Les Juifs hassidiques de Montréal, le dernier ouvrage collectif de Pierre Anctil et Ira Robinson.

Photo de gauche: Alain Picard, Christine Brabant (de dos) et Max Lieberman; photo de droite: Jessica Roda (en médaillon), Steven Lapidus, Simon-Pierre Lacasse, Valentina Gaddi, Pierre Anctil, Chantal Ringuet, Ira Robinson, Christine Brabant et Shauna Van Praagh.


Parmi les neuf auteurs qui ont collaboré à ce bouquin, on compte la professeure Christine Brabant, principale responsable de l’étude sur la scolarisation à la maison des jeunes hassidim d’Outremont.

Il est vrai que, mis à part la position « sympathique aux réalités et aux défis » de ces communautés ultraorthodoxes qu'elle avoue dans son rapport, on ne lui connait pas de déclarations publiques sur ses états d'âme à l'égard des sectes ultraorthodoxes. N’empêche que pour les fins de son étude, Mme Brabant s’est malheureusement limité aux seuls leaders de l’Association éducative juive pour l’enseignement à la maison (AEJEM). Personne du ministère de l’Éducation, de la Direction de l’enseignement à la maison, de la Commission scolaire English Montreal n’a été invité à donner son appréciation de l'expérience de l'enseignement à la maison.

Mme Brabant a laissé aux porte-parole hassidiques le soin de faire passer tous les messages qui leurs convenaient. Même le lobbyiste Alain Picard, payé pour donner ses consignes en matière de communication, ne s'est pas privé de faire valoir son point de vue. Disons que ça teinte un peu la sauce.

Parmi les contributeurs au livre d'Anctil, certains donnent carrément l’impression d’avoir été victimes d’un syndrome de Stockholm tellement ils prennent fait et cause pour les communautés ultrareligieuses.

Valentina Gaddi fait partie de ces ardents défenseurs des revendications rabbiniques fondamentalistes. La doctorante en sociologie ne s’est pas simplement intéressée de près aux relations intercommunautaires de notre arrondissement. Elle s’y est investie corps et âme, au point de devenir officiellement administratrice de l’association activiste Friends of Hutchison Street (FOHS) mise sur pied par le lobby hassidique et devenue un Safe Space réservé à ceux et celles qui chantent leurs louanges.

Ce n’est qu’après avoir milité quelques années au sein de cette chapelle marginalisée qu’elle a entrepris la recherche dont elle nous livre les grandes lignes dans l'ouvrage d’Anctil et Robinson. Elle n’a pas souhaité garder la distance professionnelle nécessaire pour mener son « enquête ». D’où son analyse indéniablement contaminée. Jetez-y un coup d'oeil!

Steven Lapidus en est un autre dont le copinage a fait prendre une drôle de tangence. À titre d’exemple, c’est avec une candeur déconcertante que le professeur d’études juives canadiennes de Concordia s’est prononcé contre un projet de règlement de zonage à Outremont concernant les lieux de culte. « Mes amis hassidiques de New York n’ont jamais entendu parler d’une synagogue soumise à des pressions pour fermer parce qu’elle n’avait pas de permis. » J’adore !

Lapidus va jusqu’à nous mettre en garde : « S’ils ne déménagent pas [hors du quartier], ils vont dominer… Si vous voulez parvenir à une résolution pacifique des problèmes d’Outremont, n’attendez pas que les hassidim soient majoritaires. » Merci, Steven, de nous prévenir que les dirigeants théocrates pourraient devenir belliqueux et sans pitié envers la future minorité francophone. Encore heureux qu’aujourd’hui ils soient prêts à négocier... pourvu qu’on se plie intégralement à leur diktat. Grâce à son talent à dénaturer les propos des autres, Lapidus a aussi le don de se faire des amis. Demandez-le à Raymond Cloutier, l’acteur-essayiste-romancier qui a également été président de l’Association de l’avenue Bernard.

Je ne dirai rien sur 
Shauna Van Praagh. Pourquoi donc? Ben, chaque fois qu'elle me croise sur le trottoir, la pauvre Shauna fait des grands yeux de chevreuil pétrifié à la tombée de la nuit. C'est comme si elle s'attendait à ce que je l'écrase avec un pick-up F-150 sur un chemin boisé. Je n'ai pourtant rien contre elle. Je ne vais pas la traumatiser davantage.

Je terminerai plutôt l’exercice en traitant des cas de Chantal Ringuet et de Jessica Roda.

Pour ceux, nombreux, qui ne la connaîtraient pas, Chantal Ringuet n’est nulle autre que la conjointe de Pierre Anctil. Il lui fait d’ailleurs une belle petite place dans son bouquin. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’ensemble, le couple n'a aucune difficulté à parler des deux côtés de la bouche.

Un exemple ? Interviewé par Joël Le Bigot, Anctil jure sur la Torah « qu’aucune autorité rabbinique ne donne de consignes de vote aux électeurs ultraorthodoxes. Ils jouissent de la liberté de conscience comme tous les citoyens ». Pourtant dans son dernier ouvrage collectif, il laisse sa douce moitié soutenir exactement l’inverse : « Contrairement à la majorité des citoyens de Montréal, pour qui l’acte de voter relève d’un droit individuel, la collectivité hassidique suit les directives et les suggestions de certains dirigeants. »

Pour appuyer ce qu'elle avance, Ringuet exhibe même un tract électoral (voir plus bas) qu'elle a traduit et dont la dernière ligne signifierait que « [ceux qui votent] de la manière indiquée [seront] assurés d’obtenir le salut au terme de [leur] vie. » Remarquez que Chantal a tout à loisir de détricoter le travail de Pierre. Après tout, ce n’est pas elle qui a le mandat de ménager la chèvre et le chou devant les caméras et de nous faire avaler des couleuvres.

En parcourant le chapitre de Ringuet, on découvre une chercheuse qui, plutôt que de transmettre le fruit de son analyse avec un minimum d’objectivité, laisse transpirer à grosses gouttes son dédain et sa condescendance à l’égard des « individus » qu’elle considère des trouble-fête (j’en suis!).

C'est sans parler des faussetés qu'elle raconte, comme cette histoire du parti de la mairesse Marie Cinq-Mars qui aurait « menacé de fermer des synagogues hassidiques sur son territoire ». En revanche, Chantal ne manque pas de flatter dans le sens du poil un parti politique (Projet Montréal / Outremont) en symbiose avec ses magnifiques valeurs humanistes.

Sur sa page Wikipédia, on apprend qu’elle est « écrivaine primée, chercheuse littéraire et traductrice littéraire primée ». Ce qui est un peu ennuyeux, c’est que l’encyclopédie en ligne laisse apparaître un bandeau de mise en garde :

« Le ton de cet article ou de cette section
est trop lyrique ou dithyrambique. »
Et de poursuivre, 
« Il doit être réécrit de façon neutre,
dans un style moins emphatique et exalté. »

Se pourrait-il que Wikipédia la confonde avec Arielle Dombasle, la femme de Bernard-Henri Lévy ? Pas drôle pour une écrivaine primée de se faire publiquement rabaisser le caquet comme ça. Encore heureux qu’is n’ont pas traité son papier de Ringard !

Tant qu’à être dans les mentions rectificatives, je signalerais à Pierre Anctil qu’à la page 89 de sa bible, son écrivaine a commis une bourde impardonnable pour quelqu’un de si haute érudition. Elle confond un « prospectus électoral » avec un « pamphlet». Une honte, Pierre. Surtout dans un de vos précieux ouvrages de référence.


Le fameux « pamphlet» de Chantal.  

Heureusement, Jessica Roda, elle, n’est pas du genre à commettre ce genre de bévue de novice. Mais quand l’anthropologue et chercheuse postdoctorale au Département d’études juives de l’Université McGill fraye trop longtemps avec Chantal, ensemble, elles peuvent dérailler solide.

Ce fut entre autres le cas lors d’une assemblée du conseil d’arrondissement d’Outremont de 2018. Les deux comparses se sont servies d’une polémique montée de toute pièce sur les autobus scolaires qui dégorgent à gros bouillons sur nos rues résidentielles.


Jessica et Chantal reconnaissaient sans peine que les
autobus jaunes posent un réel problème de sécurité, d’affluence, de bruit et de pollution au sein de l’arrondissement. Mais il a suffi que des résidents épinglent un petit carré de feutre jaune de protestation à leur veste pour que les deux Mahātmā Gandhi de quartier fassent un infect rapprochement avec le nazisme dans La Presse. 

Entre nous, ce n'est pas diable mieux que ce que Pierre Anctil avait publié dans Le Devoir et qui lui avait valu les foudres de Frédéric Bastien (revoir le début de cette chronique).

En plus de constituer une accusation d’une mauvaise foi crasse, cette polémique sur laquelle les deux chercheuses ont voulu surfer relève d’une névrose hystérique. Il s’agit, ni plus ni moins, d’un détournement de l’histoire et d’une véritable insulte à la mémoire des victimes de l’holocauste.

Ça n’a pas empêché Chantal Ringuet d’en remettre une couche sur les carrés jaunes dans le livre de son époux. Encore heureux qu’elle n’ait pas décidé de se convertir au judaïsme comme elle le racontait dans The Times of Israel. « [Si je me convertissais au judaïsme], soutenait-elle, je perdrais toute distance par rapport au travail sur la culture juive. » Oh ! Mon Dieu ! Si elle avait franchi le pas, imaginez combien nous y aurions goûté ! Celle qui passe souvent pour faire partie de la « Tribu » nous aurait très certainement traités de « goyishe kopf  ». En yiddish, l'expression « tête de non-juif » signifie un 
crétin ou un imbécile.

Fady Dagher, le chef du Service de police de la Ville Montréal ne sait pas à quoi il a échappé le 27 janvier dernier quand plusieurs services de police se sont réunis, ruban jaune sur le torse, pour déplorer le fait que plus de 1650 enfants ont été blessés ou tués lors de leurs déplacements en transport scolaire au cours des six dernières années.


mardi 18 février 2025

LES ESCLAVES D'ABRAHAM

 

Vous connaissez l’expression yiddish « אַן ומגליק קומט קיינמאָלאַליין »? Ça se prononce comme ça s’écrit : A aumglik kumt keynmol aleyn ! En français, on dirait « Un malheur ne vient jamais seul».

En 2017, lorsqu’une équipe de chercheuses de l’Université de Montréal a décidé de se lancer dans une étude sur la scolarisation à la maison des jeunes hassidiques d’Outremont et du Plateau, ça faisait au bas mot 60 ans que les yeshivas ultraorthodoxes d’ici prêchaient une éducation presque exclusivement religieuse. Car il ne faut pas se leurrer. Vous pouvez bien rebaptiser ça des « écoles » ou des « centres communautaires » si ça vous chante, il n’en reste pas moins qu’il s’agit toujours d’abord et avant tout d’usines à psaumes. 

Jugez par vous-mêmes. On apprend dans cette enquête que les garçons du primaire reçoivent un enseignement strictement religieux jusqu’en milieu d’après-midi. Ce n’est qu’en fin de journée — moment où l’on sait tous que le niveau de concentration est à son top ! — que des tuteurs sans diplôme d’enseignement offrent un soutien scolaire pour les matières séculières. Quant aux adolescents de 13 ans et plus (secondaire), l’étude des disciplines laïques est davantage ou entièrement pris en charge par les parents, principalement les soirs et les fins de semaine.

Bien au fait de la vive controverse suscitée par le dossier, la professeure Christine Brabant a constitué une équipe de recherche pour traiter de la question. Se demandant, entre autres, jusqu'à quel point la forme d’éducation que recevaient les enfants des communautés Belz, Satmar, Skver, Vitznitz, Yeshiva et Lubavitch était conciliable avec la scolarité offerte dans les écoles publiques québécoises, Mme Brabant a approché l’Association éducative juive pour l’enseignement à la maison (AEJEM) fraîchement incorporée. Cette organisation constituera son principal, sinon son seul partenaire.

Les choses s’annonçaient bien. Le partenariat a rapidement permis d’obtenir une subvention de 152 404 $ du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH). La recherche pouvait donc aller de l’avant dès le 23 mars 2018 jusqu’au 22 mars 2021.

Hélas, les mauvaises nouvelles se sont vite enchaînées. En mars 2020, la pandémie de COVID-19 force la fermeture des écoles, des frontières et l’instauration d’un premier confinement. L’équipe universitaire a vu le déroulement de son projet brutalement chamboulé. En plus de perdre des joueurs, le groupe s’est retrouvé avec une pénurie d’auxiliaires de recherche qu’il a fallu remplacer et former.

Pour ne rien arranger, au sein même du regroupement hassidique, l’atmosphère s’est drôlement morpionnée. En 2021, Max Lieberman, l’administrateur satmar le plus en vue de l’AEJEM est passé à la trappe. Il aura fallu 15 ans avant que les dirigeants fondamentalistes se sentent contraints de condamner ce lobbyiste crapuleux et intimidateur
 à un exil forcé à Brooklyn. Dire que cet abonné au plumitif du Palais de justice (22 dossiers judiciaires) avait pour mandat de créer des occasions de rapprochement avec la société québécoise.

Par ailleurs, une étonnante « erreur de communication » avec l’AEJEM
  qui compte pourtant un spécialiste des com!   a fait en sorte réduire le nombre de questionnaires dûment remplis par les familles censées participer à l’étude. De quoi laisser le groupe de recherche sur sa faim.

Résultat de tous ces bouleversements, les chercheuses ont dû se contenter de trois fois moins de collectes de questionnaires que prévu. Adieu, donc, la possibilité de suivre la progression des apprentissages et l’évolution des pratiques éducatives et de la gouvernance sur trois années.

À cause de ces multiples contraintes, elles ont dû se rabattre sur une étude de cas descriptive. La méthode a ses avantages. Elle peut fournir un portrait détaillé et précis d’un phénomène ou d’une population et est souvent relativement rapide et facile à réaliser. Par contre, en raison de leur petit échantillonnage, elle est plus difficilement représentative du sujet à l’étude.

L’expertise de Mme Brabant ne fait absolument aucun doute. Son équipe y a également mis le temps. Elle a, entre autres, su rassembler des documents, des données et des études fort intéressantes de la situation qui prévaut dans d’autres communautés ultraorthodoxes ailleurs dans le monde. 

On y apprend, par exemple, qu'en Angleterre, les garçons sont de moins en moins enclins à poursuivre les études jusqu’au certificat général de fin d’études secondaires. En Israël aussi, moins de garçons se présentent aux examens de fin d’études secondaires. Dommage que les chercheuses n'aient pas été curieuses de savoir ce qu'il en était pour les jeunes hassidim 
d'ici. On donne pour raison que le ministère de l'Éducation n'était pas partenaire de l'étude. D'accord, mais les groupes de recherche britanniques, israéliens et états-uniens non plus n’en faisaient pas partie, ce qui n'a pas empêché les universitaires d'en révéler des éléments dignes d'intérêt.

À la lecture du rapport déposé par la professeure titulaire de la Faculté des sciences de l’éducation, on sent un certain parti pris. Et ce, même si on y trouve des observations qui ne seront pas toujours de nature à réjouir les huiles hassidiques du quartier.

La principale intéressée ne s’en cache pas. En qualifiant elle-même sa position de 
« sympathique aux réalités et aux défis » de ces communautés ultraorthodoxes, elle avoue (p. 174 du rapport) avoir maintenu une « objectivité par moments ». On se comprend pas encore ce que cela peut bien vouloir dire.

On le sait et on le reconnait sans difficulté, personne n’est jamais parfaitement neutre. Et à titre de chercheuse engagée jouant un rôle d’accompagnatrice, Mme Brabant n’échappe pas à la règle. 

La méthode d’échantillonnage s’avère particulièrement révélatrice. Le rapport nous apprend que les parents et les enfants qui ont pris part à l’étude n’ont pas été choisis au hasard. Il s’agit presque exclusivement « d’échantillons de convenance », c’est-à-dire que les participants ont été spécifiquement sélectionnés en fonction de la facilité à pouvoir les recruter. 

À court terme, les leaders de l’AEJEM sont prêts à jouer la carte du respect
de l'accord avec le Ministère de l'Éducation. Mais à moyen et à long terme,
ils feront tout pour faire prévaloir leur position sur le terrain.

Sachant que les lobbyistes Max Lieberman et Abraham Ekstein, ainsi que le directeur de la yeshiva Toras Moshe, Jacob Maman, sont toujours (sauf pour Lieberman) respectivement administrateur, président et secrétaire de l’Association éducative juive pour l’enseignement à la maison, on ne se demandera pas très longtemps qui a guidé la sélection des Happy Few qui ont fait partie de l’étude.

Comment s’en remettre à des démarcheurs farouchement repliés sur eux-mêmes et qui filtrent les informations dans un tamis fourni par les hautes autorités rabbiniques? Le tout sans fragiliser la valeur d'une étude? Mystère et boule de gomme.

On ne peut certainement pas blâmer les familles hassidiques qui auraient pu être choisies par le lobby. Totalement sous le joug de leurs leaders religieux, elles n’ont d’autre choix que de marcher au doigt et à l’œil si elles ne veulent pas s’exposer à l’ostracisme du clan. Voici tout de même ce que ça donne.

* Ce tableau ne figure pas comme tel
au rapport

Dans ce tableau* conçu à partir des données relevées par les chercheuses, on constate qu’aucun des 90 enfants ayant pris part à l’enquête n’atteint les normes attendues du programme.

        Dans le meilleur des cas,
 les filles se retrouvent 9 % sous le niveau des normes (91 % de
conformité) en sciences
et en maths.



Du côté des garçons, les résultats sont plus catastrophiques.

La première collecte de renseignements dévoile que selon la matière, ils ne satisfont qu’entre 14 % et 48 % des normes. Cependant, lors de la deuxième récolte, on remarque une évolution spectaculaire. 

Les gars répondraient tout à coup entre 40 % et 80 % des normes établies. C’est encore largement insuffisant, mais on se demande ce qui peut expliquer que les résultats aient progressé de la sorte en 18 mois. Est-ce dû au fait d’un trop petit échantillonnage (seulement dix garçons évalués) ? Le lobby sera-t-il parvenu a sélectionner la crème de la crème ? Le hasard a-t-il bien fait les choses?  Les voies de Hashem demeurent impénétrables !

On ne s’étonnera pas d’apprendre dans le rapport que sur les 70 parents interviewés, un seul a admis n’avoir aucun sentiment de compétence lorsqu’il s’agit de contribuer à l’éducation séculière de ses enfants. Un enseignement dont ils ont eux-mêmes été mis à l'abri dans leur jeunesse. On jurerait être témoins d’un phénomène de science infuse.

Revenons un peu sur ces fameux lobbyistes qui se sont faits partenaires de l'étude. Sautons par-dessus le cas de Max Lieberman dont on a traité le cas plus haut. Passons plutôt à Abraham Ekstein.

Vous vous rappelez l’échauffourée qui s’est produite en plein confinement le 23 janvier 2021 ? Alors que quelque 350 hassidim s’étaient illégalement rassemblés à l’intérieur de la synagogue Toldos Yakov Yosef, Ekstein n’avait trouvé rien de mieux à faire que de fustiger l’intervention des policiers. Pire. D
ans le libellé de la requête en injonction qu’il a déposé avec le Conseil des juifs hassidiques du Québec, il menace même de violer le décret gouvernemental limitant à 10 personnes le droit de se réunir dans un lieu de culte. Cela n'avait pas manqué de faire sursauter l’honorable juge Chantal Masse. 

Au micro de Paul Arcand, Abraham a raconté : « Nous avions 2 à 3000 personnes qui devaient prier chaque jour. C’était totalement impossible de respecter la lettre de la santé publique qui disait 10 personnes par synagogue… C’est juste des prières ! » 

À la suite des déclarations d’Ekstein, l’ancien maire du Plateau, Luc Ferrandez avait dénoncé la façon de faire des dirigeants hassidiques : « C’est très difficile d’en arriver à des ententes avec les hassidim parce qu’ils réinterprètent constamment la loi en fonction de leurs besoins… [Ils se disent] ça, c’est la loi, maintenant qu’est-ce qu’on peut faire pour la contourner ? Dès que tu oublies une virgule quelque part dans un texte qui leur permet de faire quelque chose qui est contre l’esprit de la loi, ils vont le faire. » Visiblement exaspéré, Sylvain Caron, le directeur du Service de police de la Ville de Montréal, a démenti les propos d’Ekstein et qualifié la situation d’intolérable. Même l’ancienne convertie au hassidisme, Lise Ravary, a trouvé que c’était fort en ketchup.

Au sujet de l’enseignement, le président de l’AEJEM n’en démord pas. «Depuis des millénaires, clame-t-il, l’éducation talmudique a produit des adultes autonomes et instruits.» 

Il est vrai qu’il y a 100 anson pouvait gagner sa croute sans même avoir une quatrième année. Mais aujourd’hui, les changements sociaux et technologiques sont tels qu’un secondaire cinq vous relègue pratiquement au rang des mésadaptés sociaux. Cela dit, Christine Brabant signale une étude de Steven Lapidus, chargé de cours à l’Institut d’études juives canadiennes de l’Université Concordia. 

Selon cet éminent docteur, les finissants des études religieuses peuvent espérer un tas de débouchés. Dans le seul secteur Outremont — Mile-End, par exemple, on dénombrerait près de deux dizaines de juristes religieux, 18 rabbins, cinq circonciseurs et plus de dix abatteurs rituels. Ce serait sans compter entre 30 et 40 superviseurs dans l’industrie de la viande casher et une centaine d’employés dans les écoles hassidiques. D’autres encore se consacreraient aux services de commande et de livraison à domicile, à la vente au détail, aux services financiers.... Le tout, dans le seul but de ne répondre qu’aux besoins propres de leurs coreligionnaires sectaires. Méchante intégration !

Mme Brabant a tout de même soulevé, à la page 207 de son rapport, une petite inquiétude à propos des ressources éducatives développées par la Commission scolaire English Montreal pour les communautés hassidiques. À son sens, ces aménagements «comportent un risque de restreindre les horizons des enfants et leur possibilité de choisir un autre mode de vie à l’âge adulte, s’ils le souhaitent». Peut-être son équipe est-elle tombée sur ce reportage de NBC où on nous montre que, pour parvenir à étancher leur soif de connaissances et se réaliser personnellement, d’anciens hassidim n’ont eu d’autre choix que de se défaire  et à quel prix !  de l’emprise tentaculaire et étouffante qu’exerçaient sur eux leurs sectes.

Si, à court terme, Abraham Ekstein est prêt à jouer la carte du respect de l’accord avec le ministère de l’Éducation, à moyen et à long terme, il laisse entendre que lui et les siens remueront ciel et terre pour faire prévaloir leur position : faire en sorte que la formation religieuse qu’ils dispensent jouisse des mêmes lettres de noblesse que l’éducation québécoise. Le coulissier n’attend plus qu’une chose. Que sa communauté ait engrangé suffisamment de ressources pour passer à la grande offensive. Ses intentions et son plan sont résumés dans le rapport, page 161.

En matière de manigances, d’accusations outrancières, de déclarations carrément fausses, ce Satmar originaire d’Argentine — qui ne possède pas de diplôme d’études secondaires  est un expert.

En 2016, le lobbyiste nous y avait déjà préparés en faisant publier dans Le Devoir une lettre d’opinion qui aurait pu facilement être écrite par un arracheur de dents. 

Ekstein prétendait que leurs yeshivas avaient toujours inclus les matières séculières dans l’enseignement ! Tiens donc ! Si elles respectaient déjà le Programme de formation de l’école québécoise, pourquoi, diable, tout ce tohu-bohu à propos de l’école à la maison ?

Dans cette même lettre, il affirmait aussi que leurs institutions privées d’enseignement religieux n’étaient pas subventionnées par le gouvernement. C’est oublier qu’à Outremont, des écoles des sectes Belz et Skver qui ont un permis reconnu par l'état reçoivent toujours bel et bien des subventions. Par ailleurs, Abraham devrait peut-être lire le récent article du journaliste Francis Vaille sur les largesses fiscales dont profitent encore les écoles religieuses juives orthodoxes.


Enfin, Ekstein avançait que l’abandon scolaire est presque inexistant dans leurs communautés, tout comme la criminalité. 

Dans ces sectes ou le simple mot «décrochage» fait craindre la mort sociale (voyez la vidéo !) quand elle n’entraîne pas la mort tout court, on n’a pas trop de mal à croire que ces jeunes  programmés pour marcher au pas dès qu’ils savent mettre un pied devant l’autre  sont peu enclins à sécher ou à abandonner leurs cours religieux. 

En ce qui concerne la criminalité, on espère bien que les rabbins ultraorthodoxes d’ici ne s’adonnent pas au trafic d’organes humains comme certains de leurs confrères du New Jersey ou encore à des « chaînes de montage du viol d’enfants » comme les dénonçait à Brooklyn le rabbin satmar Nuchem Rosenberg.

Mais puisque Abraham Ekstein veut jouer 
l’Immaculée Congrégation, rappelons-lui que d
ans son entourage proche, certains ont quelques souillures sur l’âme. Hersber Hirsch, directeur de la yeshiva qui a pignon sur rue au coin de Beaubien et Parc, est un ancien truand du gang mafieux de Mordechai Samet. 

Abraham Ekstein en compagnie de Hersber Hirsch, le directeur de la yeshiva au moment d’une visite surprise de la DPJ.

Depuis le village de Kiryas Joel, 100 % satmar dans l’état de New York, le groupe a volé au moins 5,5 millions $ US par le biais de diverses escroqueries, notamment la collecte de prêts commerciaux et de crédits d’impôt frauduleux et la tenue de fausses loteries. Accusé de 29 chefs d’accusation, Hirsch a été condamné à 30 mois de prison. Ekstein le connait d’autant mieux qu’encore en 2017, une partie de cette yeshiva abritait l’entreprise Fidelity Payment Services ULC dont Abraham était administrateur secrétaire.

Si Ekstein aime bien clamer en ondes qu’il n’y a pas de Hell’s Angels dans leurs synagogues-centres communautaires-yeshivas, il n’est pas besoin d’éplucher le plumitif du palais de justice pour y dénicher des escroqueries. N’en prenons qu’un exemple qui fera tourner quelques têtes.

Depuis plus de 20 ans, dans le quartier, les dirigeants et administrateurs de certaines synagogues  qui servent aussi de yeshivas  pratiquent allègrement le trafic illégal d’alcool

Après des années d’importation illégale d’alcools cashers et de schnaps à la banane, des escouades spéciales de la police ont fait des razzias à quelques reprises dans au moins trois congrégations ultraorthodoxes de notre patelin. Ils y ont saisi respectivement 700, 5 700 et 8 000 bouteilles. 

Cela a valu aux dirigeants et administrateurs du clan Toldos Yakov Yosef de l’avenue Durocher d’écoper d’une amende de 20 000 $. La gang de Yetev Lev de la rue Hutchison s'en est payé une de 125 112 $ (elle doit encore 90 709 $). Quant à la clique du Young Israel of Montreal, elle a gagné le Jackpot en 2018 avec son « ticket» de 250 000 $. De belles rasades à avaler pour les Mohawks d’Outremont, n’est-ce pas ?
 
Mais revenons-en à l’éducation. 

En lobbyiste assidu, on ne s’étonnera pas qu’en février 2020, Abraham Ekstein ait témoigné au palais de justice contre les prétentions du couple Yohanan Lowen et Shifra Wasserstein, ces survivants du camp de prières de Boisbriand qui poursuivaient le gouvernement pour ne pas avoir forcé les sectes ultraorthodoxes à respecter le programme obligatoire du ministère de l’Éducation. 

Le 17 février 2020, Alain Picard et Jacob Maman écoutant Abraham Ekstein expliquer au juge Martin Castonguay que le monde avait été créé il y a 5780 ans et que les dinosaures ne pouvaient pas avoir existé il y a 65 millions d’années.

À peine 13 jours après le témoignage d’Ekstein en cour, c’est son collègue
, le rabbin Gilbert Crémisi qui, lors d’une conférence publique, s’en est pris au couple Lowen-Wasserstein en ces termes: « Ce couple-là, ça fait plus d’une décennie qu’ils sont sortis [sic] de la communauté. J’aimerais bien savoir ce qu’ils ont fait pendant dix ans, à part d’être au bien-être social ». C’est vraiment ce qu’on appelle un coup en bas des tsitsit.

Un dénigrement aussi méprisable ne devrait certainement pas rassurer Mme Brabant qui craignait justement que cette méthode éducative puisse tuer dans l’œuf toute velléité de s'affranchir et de choisir un autre mode de vie à l’âge adulte !

Suffit pour Abraham. Passons rapidement à Jacob Maman et à Alain Picard.

Jacob Maman, secrétaire de l’AEJEM, est plutôt discret dans ses interventions publiques. Souvenons-nous simplement que l’Académie Yeshiva Toras Moshe qu’il dirige a longtemps refusé l’enseignement des matières profanes obligatoires au Québec et qu’encore aujourd’hui les quelque 16 tuteurs à son emploi n’ont aucune qualification en enseignement.

Sur une note, disons, plus... volatile, rappelons qu’au moment même où cette yeshiva de la rue Casgrain effectuait un bras de fer avec le gouvernement, on y égorgeait quelques centaines de poules dans la cour d'école pour célébrer le rite absolument éducatif des kapparot. On ne doute pas que les administrateurs de l’endroit qui abrite aujourd’hui le siège social de l’AEJEM aient respecté le règlement municipal 3344 qui interdit « la tuerie et l’abattage de volaille… en dehors des territoires spécifiquement assignés ».

Il reste Alain Picard, ce cher Alain. Ancien journaliste déchu, il a dû se recycler dans la défense monnayée des intérêts hassidiques. Peut-être vous souviendrez-vous qu’au moment où la communauté hassidique d’Outremont a été durement frappée par la pandémie, c’est Alain qui avait bidouillé la formule punch pas piquée des vers : « La COVID-19 n’est pas un virus religieux, c’est un virus laïc ». Ça méritait bien un petit 50 000 $, non ?

Jusqu’au 31 mai 2022, Picard a été agent politique pour le compte du Conseil juif hassidique du Québec. Aujourd'hui, même s'il a négligé de renouveler son inscription au registraire des entreprises, c'est sans aucune gêne qu'il persiste à mener un travail de lobbyiste auprès de l'AEJEM. La chercheuse principale de l’étude le sacre d'ailleurs « leader et acteur clé au sein de l’AEJEM ». 

Picard le démarcheur me raconte qu'il continue à intervenir « pour des questions d'éthique personnelle». Il ajoute: «  J'ai toujours cru qu 'un débat devait se faire à partir de données les plus objectives possible ». Ekstein et son cénacle retors nous ont-ils jamais servi des données objectives? Woe! Woe! Woe! Capitaine Bonhomme!  

Voilà pour les personnages directement impliqués dans l’approvisionnement de candidats et de témoignages destinés à ce rapport universitaire.

Comme Mme Brabant, nous aimons bien l’adage « Il faut un village pour élever un enfant ». Reste à savoir maintenant si on peut vraiment remplacer un village par les dirigeants d'une coterie intégriste.