Avez-vous fait partie des braves qui ont veillé tard pour se taper le «documentaire» Outremont et les hassidim diffusé à Radio-Canada le 18 avril dernier? Pour être franc, les échos qui me sont revenus d’un peu partout au cours des deux dernières semaines n’ont pas été particulièrement élogieux pour son réalisateur Eric Scott. Certains qualifient son travail de publireportage, de docu-menteur, de commande spéciale cousue de fil blanc. Plusieurs lui reprochent d’avoir été très complaisant à l’égard des religieux, d’avoir accordé beaucoup plus de place à la minorité sectaire et à ses indéfectibles alliés politiques qu’à la grande majorité de citoyens qui ne partage pas leurs vues.
Le titre du reportage pouvait laisser espérer qu’enfin quelqu’un aborderait franchement les principales problématiques de la cohabitation dans le quartier. Or, le réalisateur s’est plutôt appliqué à faire de l’aquaplanage sur une mer de vœux pieux et de belles intentions de façade. Il souhaitait tellement que l’harmonie intercommunautaire puisse descendre sur la population d’Outremont comme des langues de feu du Saint-Esprit.
Oui, c’est vrai. Il a été un peu question de l’absence de volonté des hommes en noir à apprendre le français et de s’en servir pour se rapprocher un tant soit peu de leurs voisins. Mais Scott leur donnera tout le temps voulu pour nous servir une litanie de faux-fuyant pour justifier leur désintérêt pour la langue officielle. On a aussi parlé du partage du trottoir et d’un certain manque de civilité ou d’égards de certains hassidim.
Le réalisateur a tout de même eu la bonté de nous laisser déplorer le mauvais entretien de certains lieux de culte. Mais c’est tout juste s'il nous donne quelques secondes pour dénoncer du bout des lèvres une petite partie des irritants. S’il a bien tendu l’oreille, le téléspectateur aura attrapé au vol les mots «non-respect des règlements», «synagogues et dortoirs illégaux».
Des spécialistes du milieu du cinéma se demandent quels organismes privés ont bien pu avoir intérêt à financer ce gentil projet de documentaire. La réponse ne se trouve pas au générique. |
Pas un traître mot sur les gros problèmes de salubrité qui persistent depuis des décennies dans nos rues et ruelles. Les dépôts sauvages des sacs-poubelle éventrés dégorgeant de couches souillées, d’assiettes et d’ustensiles en plastique passent à la trappe. Pourtant, le problème est criant. À tel point que même l’éditorialiste du Journal d’Outremont vient de le dénoncer de façon inhabituelle. Étrangement, Projet Montréal s'est bien gardé de répliquer, préférant se mettre la tête dans le sable contaminé.
Heureusement que n’avait pas encore éclaté la pandémie qui a valu à notre arrondissement de se hisser au sommet du palmarès des infectés. Il aurait alors fallu balayer sous le tapis le virus qui s'est payé tout un snack lors du gros mariage des Rosenberg et des rassemblements interdits en temps de confinement.
Rien non plus sur le délabrement de plusieurs résidences habitées par des ultra-orthodoxes. Il ne valait apparemment pas la peine de parler des travaux faits sans permis, en contravention du zonage ou laissés carrément impunis. Silence radio sur la problématique des autobus scolaires. C’est vrai que ça ne fait que 15 ans que les citoyens se plaignent de ces innombrables autobus jaunes bruyants et polluants qui, du matin au soir, six jours sur sept, foncent et s’immobilisent à tout bout de champ au milieu des rues résidentielles.
Dans le but annoncé de créer «un outil de communication, fait par et pour les Outremontais», Eric Scott a planché six ans sur son reportage. J’en sais quelque chose. Au fil de ces six années, je me suis prêté à son jeu à au moins quatre reprises. De ces heures de tournage, il n’aura retenu que des grenailles dont, entre autres, la scène de cirque où l’intégriste Mayer Feig fait de la projection en me traitant de menteur et d’affabulateur. Une fois mes propos filtrés et repassés au tamis, je ne reconnais même plus l’ombre du monstre que mes détracteurs se sont acharnés à faire de moi au fil des ans. Ça me vaudra peut-être l’économie d’une chirurgie plastique!
Le spectateur comprend très vite que ce devoir de réconciliation incombe d’abord et avant tout à la société d’accueil. Scott n’en fait pas cachette. Dès la 47e seconde, il annonce clairement ses couleurs en projetant à l’écran cette question : «Jusqu’où la majorité d’Outremont est-elle prête à aller pour accommoder sa minorité hassidique?»
Mais il ne faut pas attendre aussi longtemps pour se faire remplir. À la dixième seconde de son film, Scott affirme que l’arrondissement abrite 7 000 hassidim et que ces derniers constituent 23 % de la population. Disons que pour un truc qu’on veut qualifier de documentaire, ça commence mal. Surtout quand les statistiques de la Ville de Montréal (2016) précisent qu’en tout et partout, 5 926 résidents d’Outremont sont d'une autre origine que la majorité francophone. Oups!
Même si demain matin, tous les Grecs, Italiens, Haïtiens, Vietnamiens, Chinois, Français, Ukrainiens, et autres Canadians du quartier prenaient rendez-vous chez le mohel circonciseur (il y en a cinq à Outremont) et que leurs épouses allaient toutes se faire raser le coco, on serait encore très très loin des supposés 7 000 ultra-orthodoxes. Et c’est sans parler des nombreux résidents de religion ou de culture juive qui sont tout sauf hassidiques. Statistiques Canada en remet en rappelant de son côté qu’à peine 3 450 Outremontais, soit 14,6 %, ont le yiddish comme langue maternelle.
Eric Scott, comme bien d'autres, a gonflé à l’hélium le nombre d’ultra-orthodoxes vivant dans l’arrondissement. Encore heureux qu’il ne soit pas allé frapper à la porte d’Alex Werzberger pour obtenir ses statistiques bidon. Notre bon vieux bouffon a récemment avancé le chiffre de 35 % d’ultra-orthodoxes à Outremont. C’est le remake de La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Bœuf !
Pendant la scène où l’on voit quelque 6 000 hommes se répandre comme une marée noire sur l’avenue du Parc, on ne dit pas que ce méga party a duré une semaine et qu'à plusieurs reprises, des attroupements gigantesques se sont produits de jour comme de nuit sur la rue Querbes, une rue strictement résidentielle. Le tout, sans aucun permis de l'arrondissement et en contravention des règlements sur la fermeture des rues, l'occupation du domaine public et sur la tenue d'évènement après 22 h!
Il ne serait pas venu à l’idée du cinéaste d’indiquer qu’une bonne partie des milliers de célébrants en liesse provenaient des États-Unis et d’ailleurs dans le monde. Remarquez que ça fait l’affaire des lobbyistes. Ce qui compte, c’est l’impact que ça doit créer au sein de la population. «Watch out, les goys! On va bientôt prendre le contrôle de tout le quartier!» D’ailleurs, Steven Lapidus, un chargé de cours à l’Institut d’études juives canadiennes de l’Université Concordia nous avait déjà servi la menace : «Hasidim are going to dominate. … If you want to come to a peaceful resolution to the problems in Outremont, don’t wait until Hasidim are the majority.»
Ma mère m’a toujours dit qu’il ne fallait pas tirer sur le messager. Depuis là-haut, qu’elle se rassure. Eric Scott n’est pas un simple messager. S’il n’apparait jamais à l’écran, le cinéaste n’a pas besoin d’ouvrir la bouche pour que l’on comprenne de quel côté penche son cœur.
Auteur de Je me souviens (2002), un film qui traite de l’antisémitisme et de la sympathie pro-nazie au Québec entre les années 1930 et 1945, Scott a pris soin de bien doser les séquences de son dernier reportage. Après avoir décortiqué les scènes et les interventions de chacun des participants, on constate que 75 % du temps est aimablement accordé aux bien-pensants et à peine le quart est laissé à ceux qui ont des questionnements sur ce bien-vivre ensemble.
À elles seules, les apparitions de Philipe Tomlinson et de Mindy Pollak remplissent 30 % du grand écran. Ça inclut la courte, mais combien féérique procession à la chandelle organisée en tandem par le lobby hassidique et les membres de la formation politique de Valérie Plante. On aurait dit que les apôtres de l'Amour infini s'étaient emparés de l'hymne enfiévrant (à écouter!) de Renée Claude :
«C'est le début d'un temps nouveau
La terre est à l'année zéro
La moitié des gens n'ont pas trente ans
Les femmes font l'amour librement
Les hommes ne travaillent presque plus
Le bonheur est la seule vertu»
La terre est à l'année zéro
La moitié des gens n'ont pas trente ans
Les femmes font l'amour librement
Les hommes ne travaillent presque plus
Le bonheur est la seule vertu»
Au fond, Scott s’est simplement trompé de titre. C’est Projet Montréal et les hassidim qu’il aurait dû baptiser son publireportage.
L’un des moments les plus insultants du film nous est offert par Tomlinson. Le pauvre gars se lamente de «l’œil au beurre noir» qu’aurait asséné à Outremont le processus référendaire sur les lieux de culte de l’avenue Bernard. Va-t-il falloir lui rappeler que c’est lui-même qui a chaussé ses grands «flat foot» pour aller déposer en personne la demande d’ouverture d’un registre référendaire en septembre 2016? S’il y a eu discorde, mésentente et emballement des médias, il en est le principal responsable.
Tomlinson affirme sans ciller des yeux qu'il y avait plusieurs enjeux au référendum de la rue Bernard. «Est-ce qu'on veut des lieux de culte? Est-ce qu'on ne veut pas les lieux de culte? Est-ce qu'on accepte les lieux de culte dans l'arrondissement?» Ce qu'il raconte, c'est du grand n'importe quoi. Le référendum n'impliquait absolument rien d'autre que la question de l'implantation de lieux de culte sur ce tronçon commercial de l'avenue Bernard. Le maire a dit encore pire que ça. Il soutient qu’Outremont ne permet plus l’installation de nouveaux lieux de culte sur son territoire. Pollak beurre aussi épais en soutenant faussement que les lieux de culte sont interdits sur tout le territoire. C’est de la pure désinformation.
Si l’arrondissement peut, de plein droit, réglementer l’établissement d’un lieu de culte, il n’a pas absolument pas le droit de l’interdire sur l'ensemble de son territoire.
Mindy Pollak a de méchantes pertes de mémoire. Appuyée par Tomlinson, son conseiller politique de l’époque, Pollak semble avoir oublié que le 7 mars 2016, elle avait voté contre (voir la vidéo) la proposition de l’administration Cinq-Mars d’ouvrir une zone (appelée C-6) pour permettre l’implantation de nouveaux lieux de culte sur l’avenue Durocher, juste au nord de Van Horne.
Tomlinson était pourtant assis juste derrière moi, le 7 mars 2016, lorsque j'ai déploré (écoutez mon intervention) le vote négatif de Pollak et félicité la mairesse Cinq-Mars et les trois autres conseillères d'avoir voté pour l'ajout de la zone C-6.
Si vous voulez vraiment crier (ça fait parfois du bien en période de confinement!), je vous invite à cliquer sur la photo de l'Oncle Tom ci-dessous pour visionner quelques-uns des propos fallacieux que lui et Pollak tiennent dans le film. Ça ne prend que deux minutes, mais ça restera gravé longtemps dans la mémoire des citoyens. Vous entendrez, en prime, la déclaration préélectorale de Tomlinson affirmant solennellement qu'il respectera le résultat du référendum. Pas de saints dangers, par contre, qu’il avoue nous avoir trompés.
Cliquez sur la photo pour entendre le mépris que nous voue de notre bon maire. |
Tomlinson est très touchant lorsqu'il décrit sa conseillère comme un modèle d'intégration, d'ouverture et de proximité. En regardant aller Mindy Pollak, peut-être que Philipe pourrait se demander si sa protégée est plus inspirée
par l'envie de faire un coming out communautaire ou de remplir la mission de défendre la cause
supérieure de la grande secte que lui ont confiée ses dirigeants. Presque
trentenaire, sans mari, ni enfants, elle dévie complètement de ce que l'auteure Myriam Beaudoin appelle «les facultés féminines de bonnes femmes de la maison» qu'on inculque coûte que coûte à toutes ses petites voisines hassidiques du quartier et du monde.
Dans le film, Mindy Pollak a beau clamer que les hassidim de sa génération sont plus ouverts que la génération de leurs parents et
grands-parents et «plus prêts à avoir des relations de confiance
avec [leurs] voisins», elle n'est aucunement représentative des membres de sa communauté.
Mindy Pollak, conseillère de Projet Montréal dans Outremont |
Tomlinson devrait franchement nous lâcher les baskets et s'excuser pour ses accusations à deux balles sur les citoyens supposément haineux. Il est carrément imbuvable lorsqu'il nous pointe directement du doigt comme étant des gens remplis de préjugés.
Les Outremontais sont-ils morons au point de penser, comme le dit Tomlinson, que chaque hassidim est la copie carbone de tous les hassidim?
À ce petit jeu-là, on pourrait lui demander si l'inverse ne serait-il pas tout aussi
vrai? C'est quand même rigolo de voir Tomlinson se servir du cas particulier de Mindy Pollak pour nous amener à croire que le rapprochement avec les hassidim est
possible.
De son côté, Pollak fait des pieds et des mains pour nous convaincre que les citoyens hassidiques sont d'abord et avant tout des êtres humains qui agissent de façon individuelle. Bien sûr que chacun n'agit pas de la même façon face au monde extérieur, mais c'est faire bien peu de cas du contrôle inéluctable qu'exercent les rabbins-empereurs sur l'ensemble de leurs ouailles. La philosophie du hassidisme repose sur «l'anéantissement de soi-même», comme l'explique, sur les ondes de la radio torontoise CHOQ FM, Norman Cornett, ancien professeur à la faculté d'études religieuses de l'Université McGill.
Au sein du monde hassidique, l'individu a très peu de marge de manoeuvre et il doit s'incliner, voire s'effacer devant l'intérêt supérieur de la secte. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que les autorités religieuses privent leurs enfants d'une éducation séculière digne de ce nom, les empêchent d'interagir avec nos enfants et qu'on leur instille la peur morbide du monde extérieur. C'est la recette idéale pour pouvoir les tenir en laisse et garder le contrôle sur tout un chacun.
On n'en peut plus de la petite vision du bien-vivre ensemble de Tomlinson basée sur une harmonie «gazon à gazon». Le problème n'est pas tellement notre voisin de droite ou de gauche. L'os, c'est bien plus l'entité communautaire sectaire qui aspire à l'expansion d'un ghetto qui permet, autant que faire se peut, l'exclusion des hors-castes et l'isolationnisme.
De la paranoïa, vous dites? Je laisse le mot de la fin à Norman Cornett qui, le 14 avril dernier, commentait le film d'Eric Scott.
On est à contre-courant, puisque dans la société postmoderne, au Québec, c’est le sécularisme. On est aux antipodes et les hassidim font très exprès d’épouser l’altérité.
C’est le principe opérateur de la séparation, de la mise à part. Ils insistent là-dessus. La question de l’intégration devient problématique et le fait que la religion occupe, investisse et envahisse l’espace public, c’est une autre problématique que soulève ce documentaire.»
En expliquant que le hassidisme a été justement fondé en opposition au Siècle des Lumières, le professeur Cornett se demande dans quelle mesure il sera possible de trouver des solutions à cette volonté farouche de séparation et de mise à part des hassidim pour lesquels la loi divine prime sur d'autres considérations comme, par exemple, la résistance au confinement qui a donné ce que l'on sait aujourd'hui.
Allez! Un peu de patience. Je vous donne rendez-vous pour la Part Two du documentaire!
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